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Bonne Année Maçonnique...

29 Février 2024, 08:11am

Publié par pmbordeaux

Aujourd’hui, 29 février 2024, nous sommes le dernier jour de l'année maçonnique 6023 soit le 29ème jour du 12ème mois de l'an 6023 de l'AVL. Demain débutera donc la nouvelle année maçonnique 6024...
et nous serons le 1er jour du 1er mois de l'an 6024.

Je vous souhaite donc une Très Bonne Année et tous mes meilleurs vœux les plus maçonniques.

Pour les plus jeunes, voici un petit explicatif sur la fixation des dates :

Traditionnellement, les Maçons utilisent, dans leurs actes et leurs correspondances, l'ère maçonnique. Celle-ci varie selon les rites et les Obédiences.

D'une façon générale, les loges anglo-saxonnes, françaises et allemandes utilisent l’année de la Vraie Lumière (A:.V:.L:.) ou l'Anno Lucis (A:.L:.) pour faire remonter symboliquement l'origine de la Maçonnerie à la création du monde selon la tradition biblique. Il est généralement admis que cette chronologie a été empruntée par les Maçons anglais à l'œuvre d'un savant, le prélat anglican James Usher, né à Dublin en 1580, qui contenait une chronologie biblique remontant à 4004 avant J.-C. datation retenue d'ailleurs dans les Constitutions d'Anderson.

Il convient donc, pour obtenir l'année de la Vraie Lumière (A:.V:.L:.) ou Anno Lucis (A:.L:.) d'ajouter 4000 ans au millésime de l'ère vulgaire (E:. V:.), commençant le premier mars de l'année en cours.

Le mois de mars correspond au signe du Bélier, premier signe du zodiaque, et le mois de février aux Poissons, le dernier signe. On n'emploie pas les noms des mois ni des jours mais seulement leur quantième. Ainsi le 1er février 2024 était le premier jour du douzième mois de l'A:.V:.L:.  6023 et demain, 1er mars 2024, sera le 1er jour du premier mois de l'A:.V:.L:. ou A:.L:. 6024.

D'autres chronologies peuvent également être utilisées telle la chronologie hébraïque utilisée, dans le sillage de la Grande Loge des "Antients" dans les premiers documents du R.E.A.A. - cf. la datation des Grandes Constitutions de Lausanne de 1875 - ainsi que dans certains grades Ecossais.

Cette chronologie s'appelle Anno Hébraïco (A:.H:.) ou Anno Mundi (A:.M:.), termes utilisés à tort dans Les Constitutions d'Anderson, et fixe le commencement du monde à 3760 ans avant notre ère.

Pour les templiers, on compte les années depuis la date de la création de l'Ordre du Temple en 1118 et l'année s'appelle l'Anno Ordinis (A:.O:.) ou, plus généralement, depuis le 1er mars 1314 qui rappelle la mort de Jacques de Molay, dernier Grand Maître, brûlé en mars 1314. L'année de l'Ordre se calcule alors en diminuant de 1313 le millésime du calendrier grégorien et en retranchant deux mois. Le 1er mars 2024 fut donc le premier jour du premier mois de l'année 711 ou 906 Anno Ordinis

Au grade de Royal Arch, la date de départ du calendrier est celle de la reconstruction du Second Temple par Zorobabel fixée à 530 avant notre ère et s'appelle Anno Inventionis (A:.I:.). Au grade de Royal et Select Master du Rite d'York, la date de départ est la dédicace du Temple de Salomon, fixée en 1000 avant notre ère et s'appelle Anno Depositionis (A:.D:.).

Il existe aussi un calendrier spécifique au Rite Egyptien qui fait, si je ne me trompe, débuter sa chronologie à l'An 1292 avant notre ère, date de l'accès au trône d'Egypte de RAMSES II. Mais je ne m'étendrai pas considérant que vous êtes beaucoup mieux placées que moi pour en parler.

L’Ere Vulgaire

Les Romains commençaient l'année au premier mars. Ce qui explique le nom des mois de septembre, 7ème mois de l'année, octobre, 8ème mois de l'année, ainsi que novembre et décembre respectivement 9ème et 10ème mois.

Sous la monarchie française, l'année catholique commença soit à Noël soit à Pâques et comportait tantôt onze mois et tantôt treize, suivant le détour de la lune. Il fallut attendre 1564, pour qu'un édit de Charles IX fit invariablement commencer l'année au premier janvier. Cet édit fut suivi en France jusqu'en 1792, où la république succéda à la monarchie et changea entièrement l'ordre et le nom du calendrier. L'année commença au 22 septembre.

En 1806, le calendrier républicain est réformé, et la France en adopte celui de l'Empire qui débute le 2 décembre...

Je ne reviendrai pas sur les péripéties, erreurs, corrections et finalement incertitudes de la fixation de ce que nous, Maçons, appelons l'ère Vulgaire, dite aussi ère Chrétienne, qui trouve son origine dans les supposés année et jour de naissance du Christ.

Pour l'anecdote, sachez que l'un des 1ers à avoir travaillé sur la fixation de cette date fut Victorius d’Aquitaine, mandaté, en 455, par Hilaire[1], archidiacre du Pape Léon le Grand (440-461) pour établir une table permettant de fixer la date de Pâques. Ses travaux furent repris pas un moine scythe, Denys le Petit, qui, après de savants calculs, fixa définitivement la naissance de Jésus au 1er Janvier de l’an de Rome 754, qui devint rétrospectivement le 1er Janvier de l’an 1 de l’ère Chrétienne et ce malgré une erreur supposée de 4 ou de 6 ans... Mais "l’erreur" du moine Denys, n’est peut être qu’un habile moyen pour donner à la date de la crucifixion une résonance ésotérique, 33 est en effet doté d’une plus haute valeur symbolique que 39 ou 37… déjà à cette époque on manipulait la vérité historique !

Conclusion :

Tout cela pour tenter d’expliquer pourquoi l’on doit donner la date de l’ère vulgaire de la façon suivante selon l’Année de Vraie Lumière :

Aujourd'hui, 29 Février 2024 de l’ère vulgaire correspond au 29ème jour du 12ème mois de l’année de Vraie Lumière 6023. Demain, 1er mars 2024 correspondra au 1er jour de l'A:.V:.L:. 6024.[2]

 


[1] Pape du 19 novembre 461 au 29 février 468.

[2] et non le 1er mars 6024 ni le 1er jour du 3ème mois de l'année 6024  !!!

 

Travail présenté le 5 mars 2010 et actualisé pour cet article.
Source (extraits) : "Dictionnaire de la franc-maçonnerie" D. Ligou

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Pierre Cubique du 2ème Ordre

4 Avril 2020, 22:38pm

Publié par pmbordeaux

Suite à l'article de Pierre Mollier sur hiram.be disant que : « la "fameuse" planche qui décrit la "Pierre du IIe Ordre" telle que nous la connaissons et qui deviendra le modèle adopté par les Chapitres dès le Premier Empire a sans doute été tirée d’un petit ouvrage publié en 1806 par Antoine Chéreau ».

 

C'est en effet la première fois que "les quatre faces de la Pierre Cubique" sont ainsi présentées.

Je me suis replongé dans mes rituels. On trouve, antérieurement à 1806, des illustration dans les rituels de Moutiers (1784), dans la version manuscrite adoptée par le GO en 1786 (la même qu’en 1784), dans la version signée Montaleau (1787), évidemment dans la version du Régulateur et dans un petit opuscule, probablement daté de 1803, Notes sur le GO.

 

Tous présentent la même face de la Pierre Cubique et les explications sont en effet très brèves (seul le manuscrit de 1803 explique comment lire les mots : "On lit par ce moyen la pierre cubique en commençant par le t, on monte à l’u et on descend au b pour remonter à l’a et descendre à c, ainsi de suite.")

 

Quant aux autres faces ? Reprenons, le descriptif donné dans le manuscrit de 1786 : "une pierre d'agate taillée en forme quadrangulaire, sur laquelle il fit graver, à la face supérieure, le mot substitué, à la face inférieure, tous les mots secrets de la maçonnerie et aux quatre latérales les combinaisons cubiques de ces nombres ; ce qui la fit dénommer pierre cubique".

 

Chereau introduit "sa" Pierre Cubique en annonçant qu'"elle [a été] ébauchée dans le 2ème grade de la maçonnerie bleue". Il développe les 4 faces latérales (en y introduisant une petite dose d'alchimie, de mythologie / astronomie) et termine par "le sommet [qui] nous annonce le ciel" en y représentant l'étoile flamboyante.

Mais où est la face inférieure ?

 

L'erreur ne serait-il pas de croire que la pierre cubique du Iie Ordre est celle, justement, présentée dans les 3 premiers Grades, la Pierre Cubique à pointe ? et, surtout, qu'une pierre cubique est un cube ? il s'agit en fait d'un parallélépipède rectangle.

 

La description donnée dans les premiers rituels susmentionnés décrivent bien un parallélépipède rectangle développé. Les illustrations sont donc complètes ("figurée avec le développement de toutes ses faces de couleur d’agate" (MS 1786)) et correctes...

 

 

 

Conclusion : Antoine Chéreau a inventé une nouvelle représentation... devenue depuis LE modèle de la Pierre Cubique du 2ème Ordre...

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En vos grades et qualités

11 Juillet 2018, 07:55am

Publié par pmbordeaux

C'est une expression, faut il le rappeler, de la société civile utilisée à l'origine dans l’armée, la diplomatie et l’administration... notamment lors de discours face à un parterre de notables dont on doit citer le titre et la qualité et qui se terminent, généralement par : "Mesdames, Messieurs, en vos grades et qualités"…

 

Lors de la prise de parole en Loge la coutume voulait que l'on ne s'adresse qu'au vénérable.

En 1880, la Grande Loge Générale Écossaise de France (GLSE) introduit dans son rituel l'expression : "Vén:. M:., et vous tous, mes FF:." que conservera le Droit Humain jusqu'en 1978 (en y ajoutant les SS:. bien évidemment) avant de la transformer en : ''Vén:. M:., et vous tous, mes SS:. et mes FF:. en vos grades et qualités..." (rituel de 1980)

 

On trouve cependant cette formule dans les compte-rendu des Convents de la Grande Loge de France dès 1936 et dans certains compte-rendu de ses Tenues de Grande Loge… L'explication est que dans ce cas l'orateur s'adresse effectivement à tous mes membres dont les Conseillers Fédéraux qui votent ensuite sur l'adoption ou le rejet des propositions.

 

Outre le DH, cette expression est également utilisées dans certains rites égyptiens (GLMF, GLISRU, GODF, OMOAPMM,...) et au rite français philosophique (GODF),...

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Le soi-disant schisme (?) de 1751

30 Novembre 2016, 18:55pm

Publié par pmbordeaux

Une précision lexicale pour commencer. Dans le Larousse un schisme est défini comme étant la division ou la scission dans un groupement, une école, un parti…

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La création de la GL des Antients n'est pas due à l'opposition de conception de la FM mais au refus des Loges londoniennes d'accueillir les FF:. irlandais et anglo-irlandais qui se sont donc réunis de leur côté et ce dès 1735… Parler de "schisme" est inapproprié …

Le "schisme", évoqué par Robert Freke Gould est contredit par Henry Sadler pour qui les maçons fondateurs de la nouvelle GL n'ont même jamais appartenu à la GL d'Angleterre. Aujourd'hui, selon A. Bernheim, Roger Dachez, Pierre Mollier et Pierre Noel, quasiment plus personne ne soutient la théorie de Gould qui est, cependant, encore aujourd'hui, reprise par certains auteurs !

Que nous disait Gould ?

Dans sa 1ère édition de The History of Freemasonry,  (1882-1887), Gould consacre le chapitre XIX (pp. 434 à 465) à l'Histoire de la Grande Loge d'Angleterre selon les anciennes institutions sous titré, à tort, Schismatics or "Ancients". En fait il présente les minutes des premières années de la GL des Antients et reprend les reproches que Laurence Dermmott a fait à la Première Grande Loge, celle qui sera dénommée la GL des Moderns. A cela, rien à redire, tout est également écrit dans Ahiman Rezon. Par contre, dans le chapitre XVII, consacré à l'Histoire de la Grande Loge d'Angleterre 1723 – 1760 il avance des hypothèses qui seront très vite démenties dans Masonic Facts and Fictions (1887) de Henry Sadler.

Voyons ce qu'il écrit, notamment aux pages 397 à 399 :

S'appuyant sur les ouvrages Illustrations of Masonry, de William Preston, 2ème édition publiée en 1775, et sur le Freemasons Calendar (et, notamment, sur le chapitre Remarkable Occurrences in Masonry), publié en 1776, Gould narre les différends apparus en 1739 au sein de la Grande Loge et durant la Grande Maîtrise de Lord Raymond.

"Plusieurs personnes, écœurées par certains des actes de la Grande Loge à cette époque, renoncèrent à leur allégeance au Grand Maître et, contrevenant aux lois originelles de la Société et à leurs liens solennels, se réunirent, firent des maçons en assumant à tort l'appellation de Loge, et constituèrent mêmes des présumées loges. Les maçons réguliers, jugeant nécessaire de contrôler cette sédition, adoptèrent de nouvelles mesures. Piqués par le procédé, les séditieux s'employèrent à répandre l'idée qu'ils détenaient les anciennes pratiques du Métier qui avaient été totalement abandonnées par les Loges régulières, auxquelles ils conférèrent l'appellation de Maçons Modernes. Par cet artifice ils continuèrent à s'imposer au public et introduisirent dans leurs assemblées plusieurs gentilshommes..."

Il prétend que ces troubles remontent en fait à 1736 avec la nomination de certains Grands Officiers par le Grand Maître Lord Loudon qui provoqua le départ de certains Frères l'année suivante sous la Grande Maîtrise de Lord Darnley.

Toujours en citant Preston mais en soulevant cependant des réserves, Gould pense que la baisse de fréquentation aux Quarterly Communications et le manque de participation financièrement aux "Charity box" furent les principales raisons de la sécession qui dut avoir lieu sous la Grande Maîtrise de Lord Byron entre 1747 et 1752. En 10 ans (1742-1752) pas moins de quarante-cinq Loges, soit environ le tiers des Loges, furent radiées des listes.

Si la baisse significative du nombre de Loges est une réalité (j'ai également des chiffres dont je n'ai plus les sources : de 189 en 1741, le nombre tomba à 157 en 1748 et à 86 en 1756) cela n'implique peut être pas une sédition mais simplement un désintérêt pour la Maçonnerie. D'ailleurs Gould dit au chapitre XIX que les Antients commencèrent avec seulement 6 Loges !!!

Revenons à la création de la Grande Loge de Londres et de Westminster.

Les premières assemblées de cette Grande Loge de Londres et de Westminster, de 1717 à 1720, étaient très confidentielles et socialement quelconques. Les membres étaient soit des gens de milieu modeste (charpentier, tailleur de pierres, décorateurs, imprimeurs) à l'image de son 1er Grand Maître, Anthony Sayer, savetier de son état, soit des amateurs de vieilleries (Payne, Stukeley et Desaguliers). Absence de structure solide et réelle, pas de communication, nombre certainement insignifiant des membres de cette G.L.,…

Jean Théophile Désaguliers, l'un des principaux acteurs de la création de la cette première Grande Loge, était membre de la Royal Society et bénéficiait, comme on dit aujourd'hui, d'un réseau. Elu 3ème Grand Maître en 1719 il fit certainement et avec succès du "réseautage" auprès de la noblesse qu'il fréquentait.

Tout changea donc avec l'arrivée à la Grande Maîtrise d'un des nobles les plus riches du royaume, le duc de Montagu. Là, on commença à en parler, les articles de presse fleurirent et les candidats maçons se pressèrent au portillon d'une société jusque là bien peu attirante. Les anglais voulurent alors imposer des Constitutions à la maçonnerie... d'où la réaction des Irlandais d'y répondre par la création de leur propre G.L. en 1725, à l'image de celle de Londres, avec des Constitutions en 1730, dites de Pennel, proches de celles d'Anderson auxquelles d'ailleurs elles se référent, sauf qu'elles mentionnent le grade de Maître, préalable nécessaire pour devenir Surveillant puis Maître de la Loge, grade qui ne sera validé que dans la 2ème édition des Constitutions d'Anderson en 1738 en paraphrasant cette nouvelle hiérarchie.

Ils furent imités 11 ans plus tard par les Ecossais, bien structurés et organisés, qui n'avaient eu que très peu de contacts avec la Grande Loge de Londres et qui voulaient éviter que ces derniers ne créent une province en Ecosse comme ils l'avaient fait au pays de Galles et en Cornouailles.

Les Antients ne seraient donc que des maçons non concernés par les tentatives de "prise de pouvoir" par les gens de la Capitale, des maçons farouchement attachés à leur indépendance qui, à partir de 1723, ont commencé à se structurer pour répondre aux idées nouvelles venues de Londres par trop intellectuelles, scientifiques et modernistes. Leur émergence semble aussi s'être faite par réaction envers des règles trop strictes et rigoureuses et la prise en main par les londoniens ?

Que penser de la 1ère tentative initiée par Roberts, un an avant la publication des Constitutions d'Anderson ? Faisait-il partie de cette G.L. de Londres ? Les Constitutions Roberts sont plus opératives que celles d'Anderson et sont une continuation des Old Charges avec l'omniprésence, notamment, de Dieu et de la Sainte Trinité. La comparaison avec le MS Dumfries (c. 1710) - entre autres - indique clairement ses sources... Entre les lignes on y trouve une condamnation des innovations des docteurs.

Dans The Concise History of Freemasonry (reprint 1904) Gould nous dit que les premières contestations (organized rebellion) apparurent dès 1723, juste après la promulgation des Constitutions... illustrées par la diminution de 20% en 6 ans du nombre de Loges reflétant le sentiment de mécontentement vis-à-vis du despotisme croissant (growing despotism) de la Grande Loge, attesté par les incidents multiples qui émaillèrent les minutes de la G.L. de Londres. D'après The Engraved List - List of Regular Lodges according to their Seniority and Constitution, il y avait [51 Loges à Londres en 1723], 45 en 1725 et 42 en 1729…

Que se passa t'il donc ?

Tout d'abord, deux éléments sont à prendre en compte. D'une part, la misère régnait en Irlande et l'émigration vers l'Angleterre, qui offrait du travail, fut massive et, d'autre part, les Anglais détestaient les Irlandais.

Cette détestation des Anglais à l'encontre des Irlandais n'était pas nouvelle. En effet, les Irlandais furent, très tôt, vendus comme esclaves au Nouveau-Monde. La proclamation de 1625 de James Ier ordonnait que les prisonniers politiques irlandais fussent envoyés outre-mer et vendus à des colons anglais des Caraïbes (Antigua et Montserrat). L’Irlande devint rapidement la plus grande source de bétail humain pour les marchands anglais. La majorité des premiers esclaves du Nouveau Monde étaient en réalité des Blancs.

De 1641 à 1652, plus de 500 000 Irlandais furent tués par les Anglais notamment pour des raisons religieuses (puritains contre papistes) et encore 300 000 furent vendus comme esclaves. La population irlandaise chuta de 1,5 million à 600 000 en une seule décennie.

Tout était donc contre les Irlandais : leur nationalité (on les comparait à des singes), leur religion (ils étaient, pour la plupart papistes), leur statut social (à comparer avec nos immigrants d'aujourd'hui, employés à bas prix)… sans parler de leur soutien à la dernière rébellion jacobite écossaise en 1745…

Malgré les principes maçonniques selon lesquels, en loge, tout le monde est traité de façon égale, indépendamment de sa race ou de sa religion, la vie était beaucoup plus simple pour les Maçons anglais sans la présence de la classe laborieuse irlandaise. La déclaration suivante de la part de maçons londoniens pourrait ne pas avoir été un fait isolé : "Il est donc bien dommage quand un maçon irlandais se présente à l'une de nos réunions de loge de Londres et ne connaît pas le dernier mot de passe. Nous ne pouvons juste pas le laisser entrer, comme nous aimerions tant le faire !" (Citée par Trevor I. Harris dans Histoire de la Grande Loge Atholl)

Notons que, de surcroit, comme le précise Pierre Noël, l'intervisite n'était déjà pas de mise en Angleterre à cette époque et que seul un visiteur connu par un membre présent de la loge était accepté. En effet, une des premières décisions de la G.L. de Londres en date du 19 février 1724 nous précise que :

"Aucun frère appartenant à une loge à l’intérieur des Bills of Mortality ne sera  admis comme visiteur dans une autre loge à moins qu’il ne soit connu d’un frère de cette dernière  Loge, et aucun frère non membre de la loge, fût-il expert en Maçonnerie , ne devra être admis sans prêter de nouveau l’obligation à moins d’être introduit et attesté par un frère connu qui s’en porte garant, et avec l’approbation de la majorité de la loge. Des Maçons s’étant réunis et ayant formé une Loge sans la permission du Grand Maître, il est décidé qu’aucune personne dans ce cas ne pourra être admise dans les Loges régulières." (extrait cité par Pierre Noël, tiré de Masonic Facts and Fictions de Heny Sadler, 1887, traduction de J. Corneloup, publiée dans Le mythe de la Grande Loge-mère, 1958, p. 80-81.)

Ce qui arrangeait bien les Londoniens de la Grande Loge d'Angleterre devenue aristocratique et élitiste.

Devant une telle attitude, le 17 Juillet 1751, environ quatre-vingt francs-maçons, quasiment tous Irlandais catholiques, se réunirent à la taverne Turks Head Inn, Greek Street, Soho et décidèrent de créer leur propre Grande Loge selon les anciennes institutions, la Très Ancienne et Honorable Fraternité des Maçons Francs et Accepté dite La Grande Loge des "Antients", en fondant leurs 5 ou 6 premières loges.

Comme ils n'avaient pas de Grand Maître, leur Grande Loge fut dirigée par un Grand Comité jusqu'à la nomination du 1er Grand Maître, en 1753, Robert Turner.

Les membres de cette nouvelle obédience étaient, comme nous l'avons vu, des Irlandais qui s'étaient vu refuser l'accès à la Grande Loge d'Angleterre (nom que pris la Grande Loge de Londres et de Westminster en 1738).

D'extraction moins aristocratique, appartenant à la classe laborieuse ou aux rangs inférieurs de l'armée, plutôt catholiques… mais pas que (Dermott aurait été un anglican conformiste… comme les membres de la GL des Moderns.)... plus attachés à la religion, rejetant les thèses agnostiques ou celles de la religion naturelle, ces Irlandais importèrent leurs "us et coutumes" maçonniques, bien différents de ceux des Londoniens. Ils revendiquèrent une antériorité de leurs pratiques avec des différences notables : présence de diacres, place des Surveillants, Grandes Lumières, prières, Installation ésotérique du Maître de la Loge, mot de Maître, inversion des Colonnes, finalité différente du 3e degré et pratique du degré de la Royal Arch.

Laurence Dermott en fut l'animateur principal, d'abord en se rapprochant des Grandes Loges d'Irlande et d'Ecosse, ensuite en publiant des Constitutions, dites d'Ahiman Rezon, véritable brûlot contre la Grande Loge d'Angleterre, dénommée péjorativement "Grande Loge des Moderns".

Moins élitiste, ayant développé un système d'entraide, la "Grande Loge des Antients" connue un véritable succès et un développement rapide. De 5- 6 loges en 1751, elle passe à 36 en 1754, à 167 en 1770 et à 258 en 1789.

Il est à noter que ce devoir d'entraide fait toujours partie intégrante du cérémonial de réception dans les Rits Anglais (York, Emulation et Standard d'Ecosse).

Un petit nombre de ces Irlandais put sortir de la misère, s'élever socialement et donc faire vivre des loges de plus en plus nombreuses avec, finalement, des nobles à leur tête tels lord Blessington en 1756 (3e GM) ou le duc d'Atholl en 1771 (6e GM, membre de la famille royale). Ils réussirent à se faire reconnaître par les Grandes Loges d’Irlande et d’Ecosse comme seule régulière, car seule fidèle aux "anciens usages" et signèrent un pacte de reconnaissance en 1772.

Certes, les différences rituelles existaient mais, selon Richard Berman (Schism: The Battle That Forged Freemasonry), elles étaient secondaires et furent bien vite oubliées face au danger de l'interdiction des sociétés secrètes et à un ennemi commun, la France révolutionnaire.[1] En fait la principale différence est, comme nous l'avons vu, sociale.

La première GL à Londres, représentait l'establishment, la noblesse, la magistrature, les affaires, le barreau, le commerce.... en province, les propriétaires terriens... Les loges des Antients étaient plutôt anti-establishment. De là vint leurs succès dans les colonies et, surtout, en Amérique où l'on retrouva le clivage Moderns, pro-establishment et attachés à la mère patrie anglaise avec les Antients, anti-establishment et pour l'indépendance. Au moment de la guerre d'Indépendance américaine (1776-1783), il y avait des LL:. très distinctes dans chaque colonie selon qu'elles étaient pour le statu quo ou pour l'indépendance.

Terminé le 2 décembre 2016 [2]

 

[1] En 1799, le gouvernement de Pitt décréta le Unlawful Societies Act visant à interdire les sociétés secrètes. L'intervention du GM des Antients, le duc d'Atholl, et de celui des Moderns, le comte de Moira, en exempta la franc-maçonnerie à condition que les lieux de réunion et le nom des membres soient déclarés au juge de paix du comté ou au sheriff. Cette obligation resta légale et obligatoire jusqu'en 1967. Ce fut la cause première de leur union qui, au début du XIXe siècle, n'avait plus de raison d'être. Elle fut réalisée officiellement en 1813 mais était déjà chose faite à la base depuis une décennie ou plus.
C'est aussi la raison pour laquelle les nombreuses loges écossaises qui n'avaient pas rejoint la Grande Loge d'Ecosse acceptèrent son "autorité" parce que c'était la seule protection contre leur éventuelle interdiction. 1799 est donc une année clé dans son évolution…

[2] Jour anniversaire du Sacre de l'Empereur et de sa victoire d'Austerlitz, du coup d'Etat et de Sacre de son neveu.


 

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Napoléon, l'abolition de l'esclavage et la Franc-Maçonnerie...

6 Juillet 2016, 16:22pm

Publié par pmbordeaux

Petits rappels :

2001, la France fait repentance et reconnaît la traite et l'esclavage en tant que crimes contre l'Humanité (Loi du 21 mai 2001).

Décembre 2004, Max Gallo fait polémique en déclarant ne pas savoir si le maintien de l'esclavage des Noirs par Napoléon Bonaparte est un crime contre l'Humanité.

De fait, dans l'inconscient collectif, Bonaparte a rétabli l'esclavage en 1802.

De même, pour les Francs-Maçons, Victor Schœlcher, qui a permit l'abolition définitive de l'esclavage en France le 27 avril 1848, est représentatif de la maçonnerie de l'époque.

Ce sont des raccourcis malheureusement trop fréquemment utilisés.

22 novembre 1801, le 1er Consul s'adresse au Corps Législatif : "A Saint-Domingue et à la Guadeloupe, il n’est plus d'esclaves, tout y est libre, tout y restera libre. [...] La Martinique a conservé l’esclavage et l’esclavage y sera conservé."

Bonaparte charge le F:. Cambacérès, avec trois conseillers d’Etat : Dupuy, Regnault de Saint-Jean-d’Angély et le F.˙. Bruix, Amiral de son état, de la rédaction du Senatus-Consulte (le 1er texte excluant nommément  la Guadeloupe, la Guyane et Saint Domingue est jugé inconstitutionnel par le Sénat).

L’article 1 de la loi du 20 mai 1802 (30 Floréal An X) est rédigé comme suit : " Dans les colonies restituées à la France [par l'Angleterre], en exécution du traité d'Amiens, du 6 germinal an X, l'esclavage sera maintenu [et non rétabli], conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789."

L'abolition de l'esclavage n'est donc pas appliquée dans les "nouveaux territoires". Le décret de la Convention du 16 Pluviôse An II (4 février 1794) abolissant l'esclavage à la Guadeloupe, à la Guyane et à Saint-Domingue reste applicable.

Quel a été le rôle de la S:. Joséphine de Beauharnais dans le maintien de l'esclavage à la Martinique ? Les Historiens sont partagés mais son influence semble très largement surfaite...

Par contre, les colons de Guadeloupe et de Guyane ont progressivement imposé une interprétation erronée de la loi. C'est à eux, et à l’absence de sanctions par la République, qu’est dû le rétablissement effectif de l’esclavage.

1794, la France est le 1er pays abolitionniste. Si les valeurs humanistes du siècle des Lumières n'y sont pas complètement étrangères, les réalités économiques et politiques priment. Le F:. Danton nous en livre la clé : "Citoyens, c’est aujourd’hui que l’Anglais est mort ! Pitt et ses complots sont déjoués ! L’Anglais voit s’anéantir son commerce".

Si tout n'est pas blanc, tout n'est pas noir...

1788, Louis XVI convoque les Etats Généraux pour le 1er mai 1789.

Les villages et villes de France doivent rédiger leurs cahiers de doléances. Les habitants de Champagney mettent dans leur cahier un article unique en son genre (l'article 29), dit Vœu de Champagney qui condamne avec énergie la traite des Noirs et réclame fermement son abolition[1]. C'est le premier document officiel pro-abolitionniste.

La même année, Brissot, Clavière et le F:. Mirabeau créent la "Société des Amis des Noirs", groupe humaniste, initié en Angleterre par Lord Wilberforce, membre éminent de la Royal Society et dont les précurseurs sont les FF:. Montesquieu et l'Abbé Raynal.

L'Abbé Grégoire en devînt Président en janvier 1790. Un quart de ses membres sont Francs-Maçons parmi lesquels figurent les FF:. Lafayette, Camille Desmoulins ou le Chevalier de St George.

Face à eux, les défenseurs de "l'ordre colonial" se retrouvent au club Massiac à Paris. De nombreux FF:. en sont membres dont Moreau de St Mery, Bacon de la Chevalerie et Gouy d'Arcy.

Quelle est la situation des colonies ?

Elles sont source de richesses pour le Royaume. Bien que le système esclavagiste commence à être remis en cause - même par le Roi - les considérations humanistes ne peuvent prendre le pas sur l'impératif économique. Le système perdure et se durcit.

La perle du Royaume est Saint Domingue qui compte pour 1/3 dans le Commerce extérieur français.

Le vent de liberté et d'égalité de la Révolution souffle dans les Iles. Les mentalités évoluent.

Les colons, plutôt royalistes, lorgnent vers les Etats-Unis et se mettent à rêver à leur indépendance... Les intérêts commencent à diverger. Paris accordent des droits aux mulâtres au grand dam des planteurs. Les mulâtres voulant faire respecter leurs nouveaux droits, entraînent les Noirs à leur suite.

La révolte gronde puis éclate le 22 août 1791.

Parallèlement la guerre avec l'Angleterre et l'Espagne ne fait qu'aggraver la situation.

Les insurgés s'allient avec les Espagnols qui occupent la partie orientale de Saint Domingue. Les colons demandent l'aide des Anglais qui occupent la Martinique et qui débarquent à Port-au-Prince.

1793 : Les Commissaires Étienne de Polverel, initié à "L'Amitié" à Bordeaux, et Léger-Félicité Sonthonax, membre de la "Société des Amis des Noirs" abolissent l'esclavage à Saint Domingue.

Peu de considérations humanistes dans cette décision. L'objectif est de rallier les Noirs et leur chef, Toussaint-Louverture, pour lutter contre les partisans de l’Ancien Régime.

Décision confirmée le 4 février 1794 par la Convention qui l'étend à toutes les Colonies françaises.

Les Anglais et les Espagnols seront finalement boutés hors de l'Ile.

Toussaint Louverture devient le chef de l'armée. Il écrase les mulâtres et remplace l’esclavage par … le travail forcé de ses frères de couleur. Le 8 juillet 1801, il proclame l'autonomie de l'île et se nomme Gouverneur Général à vie de la nouvelle République.

1794 : Le Commissaire de la Convention, Victor Hughes, reprend la Guadeloupe rapidement passée aux mains des Anglais. Chargé par Robespierre d'exporter les idées de la Révolution il fait régner la Terreur. Les planteurs royalistes sont exécutés, les esclaves rebelles massacrés.

Remplacé en 1798 par le Général Desfourneaux la révolte éclate suite à l'annonce de nouveaux impôts.

18 Brumaire An VIII (9 novembre 1799), le Général Bonaparte devient 1er Consul et doit faire face à cette crise des Colonies.

Voici et ce qu'il en dit quelques années plus tard à Sainte Hélène (Mémorial de Sainte Hélène – Tome 4) : "J’ai à me reprocher une tentative sur cette colonie lors du Consulat. C’était une grande faute que d’avoir voulu la soumettre par la force; je devais me contenter de la gouverner par l’intermédiaire de Toussaint"[...]

L'Empereur avait d'autant plus à se reprocher cette faute disait-il qu'il l'avait vue et qu'elle était contre son inclination. Il n'avait fait que céder à l'opinion du Conseil d'Etat et à celle de ses Ministres...

Saint-Domingue, outre ses richesses, est, pour Bonaparte, le carrefour de sa future politique coloniale en Amérique dans les vastes territoires de la Louisiane.

1801 : Pour rétablir l'autorité de la République, il charge son beau-frère, le Général Leclerc, de ramener Toussaint-Louverture à la raison. Il lui faut éviter la guerre pour ne pas ruiner l'Ile.

Les tractations échouent. Leclerc mène une guerre victorieuse aboutissant à la capture de Toussaint-Louverture envoyé en France où il mourût quelques mois plus tard en 1803.

Parallèlement, le Général Richepanse est chargé par Talleyrand de mater la révolte en Guadeloupe.

Il y parvient au prix de terribles massacres. L'esclavage est rétabli de fait.

Cette nouvelle ravive la révolte à Saint Domingue. Leclerc et son armée sont décimés par la fièvre jaune. Rochambeau lui succède et se livre à des massacres et à des cruautés sans nom. Il finit cependant par capituler face à Dessalines qui se proclame Empereur et massacre tous les blancs.

Saint Domingue est définitivement perdue. Haïti est née mais disparaît de l'économie mondiale...

Entre temps la guerre a repris en Europe. Napoléon oublie ses rêves américains devenus impossibles et revend la Louisiane aux Etats Unis.

Mars 1815, de retour de l'Ile d'Elbe, Napoléon décrète une abolition immédiate de l'esclavage, restée lettre morte après la restauration de la monarchie.

Certes cette décision tardive n'exonère en rien les actions menées dans les colonies et la loi du 20 mai 1802 mais elle est révélatrice de ses idées. En effet, en 1798 le Général en Chef Bonaparte ordonne l'abolition totale de l'esclavage à Malte le 28 prairial an VI (16 juin).

Autre exemple révélateur : le fameux Mamelouk Roustan, jeune esclave offert par le chekh El-Bekri en 1799 durant la Campagne d'Egypte, que Bonaparte s'empressa d'affranchir. Roustan resta fidèle à son bienfaiteur jusqu'à Fontainebleau en 1814.

Avant d'aborder le dernier point sur la Franc-Maçonnerie, permettez-moi de conclure en vous relatant deux anecdotes illustrant l'idée que Napoléon se fait des esclaves :

- La 1ère a pour théâtre le jardin de M. Balcombe. Il y rencontre fréquemment le jardinier dont il admire le travail. Tobie, car tel est son nom, est un Indien-Malais enlevé des années plus tôt par les anglais et transporté à Saint Hélène en tant qu'esclave. L'Empereur pense à l'acheter pour le faire reconduire dans son pays (Mémorial de St Hélène - Tome 2 – p 23-24 : la volonté de Napoléon d'affranchir Tobie est confirmé par Lucia Elizabeth Balcombe Abell dans "La captivité de Sainte-Hélène").

Tobie, fidèle en amitié, continuera à prendre soin de la tombe du Bon Monsieur... (Les mystères de Sainte Hélène - Tome 1 – p 92 - De Emile Marco de Saint-Hilaire - 1847)

- Pour la 2nde, toujours à Sainte-Hélène, alors qu’il se promène avec Mme Balcombe et Mme Stuart, ils croisent des esclaves chargés de lourdes caisses. Mme Balcombe leur ayant dit fort rudement de s'éloigner, l'Empereur s'y oppose disant "Respect au fardeau ! Madame" (Mémorial de St Hélène - Tome 1 – p 404)"

 

Voilà un rapide tableau de la situation, historiquement exact et aussi complet que possible.

 

Qu'en est-il de nos FF:. de l'Epoque ? J'en ai cité quelques uns. Ils y avaient les pro- et les anti-abolitionnistes. Mais en réalité leur opposition va bien plus loin comme nous allons le voir...

1728, la Maçonnerie naît officiellement en France. Le Duc de Warton, Passé Grand Maître de la Grande Loge de Londres, est reconnu "Grand Maître des francs-maçons en France".

Dix ans plus tard, en 1738, élection du 1er Grand Maître français, Louis de Pardaillan, Duc d'Antin.

La même année : création de la 1ère Loge coloniale en Martinique.

En 1745, la 1ère Loge Guadeloupéenne est créée et en 1749 la 1ère Loge à Saint Domingue.

Une apparition précoce qui s'explique par le succès du commerce triangulaire entre l'Europe, l'Afrique et les îles, mais aussi par l'engouement que connaît la franc-maçonnerie dans la société du XVIIIème siècle, siècle des Lumières et des philosophes.

Parallèlement à son développement on assiste également à des luttes fratricides de pouvoir. Des dissensions se font jour sur les Hauts Grades - dès 1743 -, sur le Vénéralat à vie puis sur l'autonomie des Loges. Paradoxalement, la traite et l'esclavage ne sont pas perçus comme incompatibles avec l'appartenance maçonnique. Pour l'anecdote, en 1781, un navire baptisé Le Franc-Maçon quitte Le Havre pour charger une cargaison d'esclaves au Sénégal. Au contraire. Les abolitionnistes sont très minoritaires au milieu du XVIIIème et une maçonnerie portuaire "négrière" se développe sans que Paris n'y trouve rien à redire.

Nous l'avons vu dans la 1ère partie, Saint-Domingue est considérée comme la perle des colonies. Maçonniquement l'île a également son importance notamment pour les Hauts Grades.

27 août 1761, Paris : Etienne Morin reçoit une patente de la Grande Loge le nommant "Grand Inspecteur pour toutes les parties du Monde" grâce à laquelle il va créer des loges de tous grades à travers les Antilles et l'Amérique du Nord. Il présente à St Domingue le Rite de Perfection en 25 degrés qui sera pratiqué par les LL:. connues, les LL:. militaires et par les Martinézistes.

1766, La Grande Loge révoque la patente de Morin, les Loges-Mères et les collèges écossais. Cependant le rite s’était déjà répandu dans les colonies et ce qui allait devenir les Etats-Unis.

Une véritable guerre fratricide de pouvoir provoque la suspension de la Grande Loge de France entre 1769 et 1771... A la reprise des travaux les dissensions restent vives... et aboutissent à la scission de 1773 qui voit la création du Grand Orient.

A Saint Domingue la pratique des hauts grades écossais perdure ainsi que l'attachement à l'ancienne Grande Loge.

Les tensions s'accroissent et les intérêts divergent entre la rue du Pot-de-fer et les LL:. coloniales. Le centralisme et la politique de contrôle de l'Obédience sont antinomiques avec l'autonomie de ces LL:.

Les LL:. portuaires qui entretiennent des relations constantes avec les Colonies sont chargés par le Grand Orient d'être les porte-paroles de l'Obédience, avec délégation des pouvoirs. Mais au final, au lieu de voir les liens se renforcer entre Paris et les Antilles, une vraie solidarité se construit entre les loges coloniales et les loges négociantes où maçonnent les négriers excluant peu à peu de leurs relations les LL\ parisiennes où les idées abolitionnistes se développent.

Cela est dû, d'une part aux relations très fortes qui se nouent avec les FF:. en escale ou de passage et d'autre part du fait que le négoce, la traite, les métiers de la mer, l'entraide, ... font que l'esprit même de ces LL:. diffère du caractère purement spéculatif des LL:. parisiennes.

1789 : Les esclaves commencent à se révolter au nom des idées de la Révolution française.

La maçonnerie des îles se met en sommeil. Les maçons fuient aux Etats-Unis, à Cuba ou à Trinidad. Parmi eux, de Grasse Tilly.

A partir de 1800 les choses évoluent en Province en général et sur le littoral en particulier. La création d'une administration décentralisée importante va provoquer l'afflux de nouveaux FF:. : les fonctionnaires investissent les LL:. Le négoce et le personnel maritime perdent de leur importance.

Les relations Paris-Province se régularisent mais de nouveaux enjeux apparaissent avec le retour de de Grasse Tilly en 1804 et le succès du REAA et de ses Hauts Grades.

Napoléon réussit, avec le Concordat, à contrôler la maçonnerie qui vivra son âge d'or sous son règne.

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.   .

J’espère avoir pu vous éclairer sur une vérité historique trop souvent ignorée.

Le but de ma recherche a été d’apporter une parcelle de vérité à cette période complexe et controversée. Napoléon n’a peut être pas pu changer radicalement le cours de l’histoire. Il n’a sans doute pas pu lutter contre les marchands et les esclavagistes, trop occupé à d’autres batailles en d’autres lieux. La distance n’a pas aidé...

Il faut cependant replacer les évènements dans leur contexte. Si aujourd’hui ces pratiques sont condamnables par tous, à l’époque l’esclavage n’était pas considéré comme immoral et inhumain même par les Francs-maçons. Il s’agissait plutôt d’une main d’œuvre nécessaire et, disons-le, rémunératrice...

Mais il faut reconnaître que la graine semée dans des esprits humanistes a germé et a permis, après des luttes, des crises et des discours persuasifs de mettre en évidence l’horreur de ces pratiques. Schœlcher, parmi d’autres, a adhéré à ces indignations et s’est battu...

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[1] "Les habitants et communauté de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les nègres dans les colonies, sans avoir le cœur pénétré de la plus vive douleur, en se représentant leurs semblables, unis encore à eux par le double lien de la religion, être traités plus durement que ne le sont les bêtes de somme. Ils ne peuvent se persuader qu'on puisse faire usage des productions des dites colonies si l'on faisait réflexion qu'elles ont été arrosées du sang de leurs semblables : ils craignent avec raison que les générations futures, plus éclairées et plus philosophes, n'accusent les Français de ce siècle d'avoir été anthropophages, ce qui contraste avec le nom de français et encore plus celui de chrétien. C'est pourquoi, leur religion leur dicte de supplier très humblement Sa Majesté de concerter les moyens pour, faire des sujets utiles au royaume et à la patrie. "

(Document B-4213 aux archives Départementales de la Haute-Saône à Vesoul)

 

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Le Maçon libre dans la Loge libre

24 Mars 2016, 12:18pm

Publié par pmbordeaux

Tout le monde connaît cette sentence et l'utilise souvent pour définir la (sa ?) maçonnerie mais peu en connaissent l'origine. C'était la devise de la Grande Loge Symbolique Écossaise créée en 1880. Elle est citée dans l'article 2 des Constitutions.

D'où vient-elle ? Merci à Kevin d'avoir partagé une publication (Pour servir à l’Histoire des Décrets rendus par le Sup:. Cons:. le 12 Mai 1879) qui, sans la citer, explique cependant le pourquoi de cette devise.

Reprenons l'Histoire…

La gestion des Loges symboliques par le Suprême Conseil de France est très mal vécue par les FF:. "de base". Il en résultera des scissions, à commencer en 1848 avec la création de l'éphémère Grande Loge Nationale puis en 1868 par celle du Comité Central du Rite Ecossais Réformé. Le 20 novembre 1879, 9 Loges se constituent en Grande Loge Symbolique Indépendante.

Que s'est il passé ?

Le F:. BALLUE, député de la Loge La Justice n° 133, se référant aux Constitutions de 1875, propose que l'autonomie soit donnée aux Loges symboliques afin que cesse "un contrôle incessant et une ingérence minutieuse dans les travaux et règlements des At:. de son obédience, une situation politique toute nouvelle rend à la Maç:. sa liberté d’action et dégage, par conséquent, la responsabilité du S:.C:.".

Le 15 avril 1879 un courrier, signé par Paul GOUMAIX-CORNILLE, Député de la L:. n° 166, L'Écossaise, H. DENUS, Député de la L:. n° 216, Égalité et Progrès, Gustave MESUREUR, Député de la L:. n° 38, L'Olivier Écossais, A. DUBOIS, Député de la L:. n° 89, Les Amis de la Vérité, et A. BALLUE, déjà cité, tous Officiers de la 1ère Section de la Grande Loge Centrale, est adressé au Sup:. Cons:.. Constatant que "tout travail inspiré par l’esprit de liberté [est] censuré" et qu'"un examen attentif de l’heureux développement de la maçonnerie Écossaise à l’étranger nous a fait aisément reconnaître, ce que nos légitimes aspirations nous faisaient pressentir, que leur état de prospérité était dû à la liberté dont jouissent presque partout les Loges symboliques, et nous en avons conclu, comme vous le ferez avec nous, qu’en France, terre classique de la liberté, l’autonomie des Loges amènerait les mêmes résultats.
Nous demandons donc à être libres comme nos FF:.
des maçonneries bleues de l’Amérique du Nord, de l’Amérique du Sud, de l’Angleterre, de la Belgique, de la Suède, de la Norvège, de la Hongrie, de l’Allemagne, d’Irlande, d’Écosse, etc., etc."

La réaction du Sup:. Cons:. ne se fait pas attendre. Nous pouvons lire dans les extraits du procès-verbal de sa séance du 12 mai 1879 que :

"Considérant que la L:. n° 133 La Justice[1] a publié et mis en circulation, sans autorisation préalable, une première brochure à la date du 3 janvier dernier, et une seconde brochure à la date du 7 février, lesquelles brochures ont été envoyées aux L:. L:. et aux maçons du Rite ;
Que par cette publication illégale elle a contrevenu à l’article 86 des Règlements généraux ;
Que ces écrits irréguliers sont, en fait, un appel à la révolte et tendent à une transformation et à une désorganisation radicale du Rite;
"

Décrète :

"Art. 1er. - La L:. n° 133 La Justice, à l’Or:. de Paris est mise en sommeil. Cet at:. est dissous et cesse de faire partie du Rite Ecossais ancien accepté, à partir de ce jour."

Concernant le courrier :

"Vu la circulaire en date du 15 avril 1879, signée par cinq officiers et membres de la 1ère Section de la Gr:. L:. Cent:. ; […] Considérant que cette circulaire a été adressée aux ateliers du Rite sans autorisation préalable et en violation de l’article 86 des Règlements généraux ;"

Décrète :

"Art. 1er. - Les F:. F:. Goumain-Cornille, H. Denus, Gustave Mesureur, A. Dubois et A. Ballue, sont suspendus de leurs droits et fonctions maçonniques, pendant la durée de deux ans à partir de ce jour."

En réponse, ces FF:., hormis A. BALLUE, envoient le 16 mai un courrier au T:.P:.S:.G:.C:. et G:.M:., Adolphe CREMIEUX, pour "protester contre une mesure dictatoriale prononcée sans avoir même entendu les parties intéressées." Et de poursuivre pour "manifester [leur] étonnement que « dans une association d’hommes libres, réunis dans le but d’être utiles à leurs semblables, » la liberté soit systématiquement bannie."

La Loge La Justice, proteste également de la sanction, mettant en avant une initiative personnelle des 3 FF:. membres de l'Atelier signataires des écrits (Gustave Mesureur, Paul Goumain-Cornille et André Ballue) n'engageant nullement l'ensemble des FF:. de la Loge.

Quelques mois après, le 20 novembre 1879 naît la Grande Loge Symbolique Indépendante qui deviendra, l'année suivante, le 24 aout, la Grande Loge Symbolique Ecossaise. Parmi les 12 Loges fondatrices de la GLSE nous retrouvons 4 des Loges précédemment citées.[2]

Le premier GM est Paul Goumain-Cornille (Vénérable de la Loge Libres Penseurs, Loge qui initia Maria Deraismes). Il sera réélu en 1884 et 1890. Gustave Mesureur le sera 3 fois en 1883, 1887 et 1894.

On peut également citer George Martin, initié dans la Loge Union et Bienfaisance en 1879, GM en 1881, à l'origine de l'initiation de Maria Deraismes et de la création du DH ainsi qu'Oswald Wirth…

Pour conclure… on le voit en lisant les écrits mentionnés, la liberté et la volonté d'être libre - et indépendant vis-à-vis du SCDF - sont au cœur des revendications de ces FF:.. Il est donc tout naturel que la devise se soit imposée dans cette nouvelle obédience.

 

 

[1] Déjà mise en sommeil en 1874 pendant 3 ans.

[2] L'Olivier écossais » (SC no 38) ; La Jérusalem écossaise (SC no 99) ; La Justice » (SC no 133) ; Les Hospitaliers de Saint-Ouen (SC no 135) ; Les Vrais Amis fidèles (SC no 137) ; La Ligne droite (SC no 146) ; Les Héros de l'Humanité (SC no 147) ; L'Écossaise (SC no 166) ; Union et Bienfaisance (SC no 187) ; La Franche Union (SC no 189) ; La Sincérité (SC no 224) ; Les Amis de la vérité (SC no 89).

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GODF : le Convent de 1877

27 Septembre 2015, 13:25pm

Publié par pmbordeaux

Ce nouvel article fait suite à la publication de Miscellanea Macionica n°84 dont la question est "Comment le Grand Orient de France a-t-il congédié le Grand Architecte de l’Univers ?"

Tel que présenté c'est la référence au GADLU qui aurait été supprimée or le Pasteur Frédéric Desmons demande simplement (et obtient) "la suppression du second paragraphe de l'article premier de notre Constitution parce qu'il nous paraît contradictoire avec le paragraphe suivant du même article." Ainsi c'est le paragraphe visant à la croyance obligatoire en Dieu et en une âme immortelle qui est supprimé, répondant ainsi à une demande minoritaire mais de plus en plus pressante des LL:. depuis le Convent de 1865.

A la séance du Conseil du 28 octobre 1877, Caubet expliquera d'ailleurs que la décision du Convent n'implique pas l'interdiction aux loges de faire usage de l'ancienne formule ni d'œuvrer "à la gloire du Grand Architecte de l'Univers". La formule est simplement devenue facultative et laissée à la libre appréciation de chaque loge. Elle demeurera sur les pièces officielles de l'obédience jusqu'en 1882.

Trop de FF:. du GO affirment que le GADLU a été supprimé (et interdit) au Convent de 1877.
Il n'en est rien !!!

 

Revenons un peu en arrière (sur la base de l'article écrit en 2000 par Pierre Noel)...

Depuis le 10 août 1849, l'art. 1er de la (première) Constitution du Grand Orient était ainsi rédigé :

La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive a pour base l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme ; elle a pour objet l'exercice de la bienfaisance, l'étude de la morale universelle, des sciences et des arts, et la pratique de toutes les vertus. Sa devise a été de tous temps : Liberté, Égalité, Fraternité.

Cet article devint le 28 octobre 1854 :

L'Ordre des Francs-Maçons a pour objet la bienfaisance, l'étude de la morale universelle et la pratique de toutes les vertus.
Il a pour base : l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et l'amour de l'humanité.
Il est composé d'hommes libres qui, soumis aux lois, se réunissent en Société régie par des Statuts gén
:. et part:..

Le convent de 1865 avait été déclaré constituant par le convent précédent. Les loges consultées sur l'article 1er avaient émis leurs vœux : 49 désiraient le maintien de la formulation en vigueur, 52 désiraient le modifier en conservant l'idée de l'immortalité de l'âme, 32 voulaient sa suppression, 3 étaient indécises.[1]

Plusieurs propositions furent faites mais finalement l'article suivant fut adopté :

La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l'étude de la morale universelle, des sciences et des arts et l'exercice de la bienfaisance.
Elle a pour principes l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et la solidarité humaine.
Elle regarde la liberté de conscience comme un droit propre à chaque homme et n'exclut personne pour ses croyances.
Elle a pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité.

Dès 1866, plusieurs loges supprimèrent de leur seule autorité la mention A la Gloire du Grand Architecte de l'Univers de leurs documents officiels [2]. Le 13 juin 1867, le convent rappela l'obligation de la formule par 180 voix contre 67 et une abstention.

Les vœux déposés lors du convent de 1868 n'étaient guère équivoques :

  • Liberté d'omettre la formule du Grand Architecte de l'Univers.
  • Supprimer les décorations des décors maçonniques réduits à leur plus simple expression.
  • Réformer le rituel pour débarrasser la Maçonnerie du formalisme qui couvrait de ridicule l'institution et empêchait beaucoup d'hommes "sérieux" de grossir le nombre de ses adhérents.
  • Supprimer les hauts grades et la Grande Maîtrise.
  • « Saint Jean, saint André, la Pentecôte et autres applications de l'Église semblent nous rattacher à l'obscurantisme. Nous demandons qu'ils soient remplacés par des termes rationnels »[3]

Aucun ne fut retenu.

Lors du Convent de 1875 la loge La Fraternité Progressive de Villefranche-sur-Saône déposa [4] le vœu que soient "(supprimés), à l'article 1er de la Constitution, les deux premiers termes du 2e paragraphe".[5]

Le 29 juillet 1876, le Conseil de l'Ordre écouta le rapport de Charles Du Hamel sur le sujet. Très justement, celui-ci fit remarquer

que ce vœu, en supprimant la formule traditionnelle qui se trouve dans tout l'univers maçonnique, supprime l'article 1er de notre Constitution ; modifie complètement les principes qui régissent notre Institution et qui, aux termes mêmes de ces principes, en sont la base. Si une semblable modification devait être faite à notre Constitution, nul ne peut nier, qu'outre les attaques du monde profane dont je ne m'occupe pas, car la suppression de cette formule n'entraîne pas pour cela la négation de Dieu, nous serions régis par la théorie de la morale indépendante. Ce sera donc à nous de voir, si la question se présente devant l'Assemblée, si nous voulons changer la base de notre Institution.[6]

Le Conseil passa à l'ordre du jour et renvoya la question au convent.

Il s'ouvrit, le 11 septembre 1876, sous la présidence de De Saint-Jean. Le rapporteur de la commission chargée du sujet reconnut que

la mauvaise foi pourrait seule assimiler à une négation de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme la suppression demandée ; car la solidarité humaine et la liberté de conscience qui seraient alors les bases exclusives de la Franc-maçonnerie, comportent certainement la croyance en Dieu et en une âme immortelle, autant qu'elles autorisent le matérialisme, le positivisme ou toute autre doctrine philosophique.[7]

La commission proposait néanmoins, par 5 voix contre 4, de passer à l'ordre du jour, car cette suppression serait inopportune, provoquerait une agitation violente dans les loges, blesserait les consciences de milliers de Francs-maçons et compromettrait les relations de l'obédience avec les puissances étrangères. Suivirent plusieurs interventions de niveau inégal, les unes qualifiant d'opportunistes les conclusions de la commission, les autres rappelant que l'idée de Dieu est au sommet de toutes les religions et de presque toutes les philosophies. Un intervenant rapporta que, dans sa loge, un candidat fut refusé parce qu'il avait parfois "adressé des prières à l'Être Suprême". Le vénérable de la loge de Saint Jean de Jérusalem à Nancy souligna le risque d'une rupture avec les Grands Loges étrangères, puis éleva le débat :

Ne croyez pas que le paragraphe discuté et cette formule ne soient que de vains mots : ce sont des idées éternelles qui ont traversé les siècles et sur lesquelles se sont élevées des civilisations sans nombre ;  [...] c'est sur elles que reposent (nos rituels) dont elles sont la clé de voûte, on prétend l'arracher, si on le faisait, il y aurait instantanément écroulement du Temple, on se trouverait au milieu des ruines, c'en serait fait de la Maçonnerie. On pourrait faire autre chose, quelque chose de nouveau, j'en conviens, mais ce ne serait plus de la Maçonnerie. Et alors, comme c'est à elle que nous appartenons, nous n'aurions plus qu'à sortir du Grand Orient de France, et à la pratiquer ailleurs.[8]

Bien que l'Orateur du Convent, le F. Wybouroff [9], ait conclu à l'ordre du jour, il fut rejeté par 110 voix contre 105 : conformément à la Constitution, la question était donc renvoyée aux loges. Lors du banquet de clôture, le même Wybouroff, dans une curieuse volte-face, incita les loges à adopter le vœu de La Fraternité Progressive car, dit-il, « supprimer une affirmation n'est pas produire l'affirmation contraire »[10].

 

Le convent de 1877

Il s'ouvrit le 10 septembre, sous la présidence de De Saint-Jean. L'examen du vœu n° IX, celui de la Fraternité Progressive, fit l'essentiel des travaux. Une commission de neuf membres, élue par l'assemblée, choisit pour rapporteur Frédéric Desmons qui lut son rapport le 13 septembre. Ce rapport, souvent évoqué, est mal connu, chacun l'utilisant au profit de ses engagements. Outre le Bulletin du Grand Orient de France, il se trouve dans La Chaîne d’Union (octobre 1877), dans le Bulletin du Centre de Documentation du Grand Orient de France 1958, n° 11-12, dans Frédéric Desmons et la Franc-Maçonnerie sous la 3e République de Daniel Ligou (1966), enfin en annexe à Les Francs-Maçons en France de Pierre Mariel (1969).

D'emblée, le rapporteur rappela les objections à la réforme qui évoquaient l'isolement possible du Grand Orient au sein de la maçonnerie universelle, le risque d'un schisme au sein de l'obédience et la menace que le Grand Orient soit dénoncé comme athée, arguments qu'il réfuta en citant les exemples brésilien, hongrois et italien [11] :

Soyez donc rassurés, mes Frères, ne redoutez point pour notre Ordre son isolement au sein du monde maçonnique. Il y a dans cette voie des pionniers intrépides qui nous ont déjà devancés. Soyez assurés que nous aurons bientôt de nombreux imitateurs.

D'ailleurs, ajoute-t-il, le paragraphe qu'il s'agit de supprimer ne fut introduit dans la Constitution qu'en 1849. Vous le voyez, mes Frères, ce que nous demandons n'est point une innovation dangereuse, mais bien purement et simplement un retour à une situation antérieure.[12]

Cette modification risque-t-elle de jeter le trouble et la division au sein de nos loges ? Non, réplique le rapporteur, puisque la question est à l'ordre du jour depuis une dizaine d'années. Sur les 210 ateliers qui ont transmis leur avis sur la question, "plus des deux tiers ont été favorables à l'adoption du vœu".

Ce qui pouvait faire naître le trouble et l'agitation au sein de nos ateliers, c'était la crainte non pas tant de voir supprimer cette formule que de la voir remplacer par une formule matérialiste ou athée. Or, qui ne sait, à cette heure, que nul parmi nous, en proposant cette formule, n'entend faire profession d'athéisme ou de matérialisme ? A cet égard, tout malentendu n'est-il pas dissipé dans nos esprits ? Et si, au sein de quelques loges, il pouvait rester encore quelque doute à ce sujet, qu'elles sachent que votre commission déclare hautement qu'en adhérant au vœu n° IX elle ne se propose d'autre but que de proclamer la liberté absolue de conscience.

Certes le cléricalisme va lancer contre le Grand Orient des calomnies supplémentaires. Qu'importe ?

Nos adversaires sont implacables et le nouveau délai que nous nous mettrions à résoudre la question qui nous est soumise n'aurait, soyez-en convaincus, d'autres résultats que de nous faire accuser de joindre la peur et l'hypocrisie à l'impiété.

Desmons en vient alors au cœur du problème, la formulation contradictoire de l'article 1er :[13]

Nous demandons la suppression du second paragraphe de l'article premier de notre Constitution parce qu'il nous paraît contradictoire avec le paragraphe suivant du même article.

Nous demandons cette suppression parce que cette formule nous paraît devoir créer bien souvent des embarras à bien des vénérables et à bien des Loges, qui, dans certaines circonstances, sont contraints ou bien d'éluder la loi ou bien de la violer. Or la Maçonnerie ne doit-elle pas donner toujours l'exemple de l'observation et du respect de la loi ?

Nous demandons la suppression de cette formule parce que, embarrassante pour les vénérables et pour les Loges, elle ne l'est pas moins pour bien des profanes qui, animés du sincère désir de faire partie de notre grande et belle Institution qu'on leur a dépeinte, à bon droit, comme une Institution large et progressive, se voient tout à coup arrêtés par cette barrière dogmatique que leur conscience ne leur permet pas de franchir.

Nous demandons la suppression de cette formule parce qu'elle nous paraît tout à fait inutile et étrangère au but de la Maçonnerie.

Et Desmons de poursuivre par une envolée anticléricale où se reconnaît aisément son appartenance à l'Église Réformée [14] :

Laissons aux théologiens le soin de discuter les dogmes. Laissons aux Églises autoritaires le soin de former leur Syllabus. Mais que la maçonnerie reste ce qu'elle doit être, c'est à dire une institution ouverte à tous les progrès, à toutes les idées morales et élevées, à toutes les aspirations larges et libérales. Qu'elle ne descende jamais dans l'arène brûlante des discussions théologiques qui n'ont jamais amené - croyez-en celui qui vous parle - que des troubles et des persécutions. Qu'elle se garde de vouloir être une Église, un Concile, un Synode car toutes les Églises, tous les Conciles, tous les Synodes ont été violents et persécuteurs, et cela pour avoir toujours pris pour base le dogme qui, de sa nature, est essentiellement inquisiteur et intolérant.

Enfin le rapporteur propose la résolution finale, adoptée à l'unanimité de la Commission :

1° L'Assemblée, considérant que la franc-maçonnerie n'est pas une religion ; qu'elle n'a point par conséquent à affirmer dans sa Constitution des doctrines ou des dogmes.

Adopte le vœu n° IX.

2° L'Assemblée décide que le second paragraphe de l'article 1er de la Constitution aura la teneur suivante : « La franc-maçonnerie a pour principes la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. »

3° L'Assemblée supprime, comme faisant double emploi avec le second paragraphe modifié, le paragraphe trois, ainsi conçu : « La franc-maçonnerie regarde la liberté de conscience comme un droit propre à chaque homme et n'exclut personne pour ses croyances. »

4° L'Assemblée décide enfin que l'article 1er de la Constitution aura désormais la teneur suivante : « La franc-maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l’étude de la morale universelle, des sciences et des arts, et la bienfaisance. Elle a pour principes la liberté absolue de conscience et la liberté humaine. Elle a pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité ».

Le vœu fut adopté sans que les voix aient été décomptées. On peut l'estimer aux deux tiers si l'on suit les avis préalables des loges. De Saint-Jean qui y était opposé obtint que soit modifié le point 3 et maintenu "Elle n'exclut personne pour ses croyances" entre "Elle a pour principes la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine" et "Elle a pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité".[15]

Ainsi, contrairement à une idée reçue, le convent de 1877 ne supprima point l'invocation au Grand Architecte de l'Univers. Le discours de Desmons n'y fait pas allusion, pas plus d'ailleurs qu'il ne contient le mot Dieu.

 


[1]     Bulletin du GODF 1865 : 24, cité in Baylot 1968 : 318.

[2]     Chevallier 1974, II : 446-447.

[3]     Baylot 1968 : 302-303.

[4]     Au même convent, la loge L'Avenir demanda que la formule A la Gloire du Grand Architecte de l'Univers soit supprimée au nom de la liberté de conscience (Combes 1999 : 136). Un autre vœu demanda le remplacement de l'acclamation vivat ! vivat ! vivat ! par Liberté, Egalité, Fraternité.

[5]     Bernheim 1989 : 126.

[6]     Bernheim 1989 : 126.

[7]     Bulletin du GODF, 1876 : 373, cité in Bernheim 1989 : 127.

[8]     Allocution du Dr Marchal citée in Bernheim 1989 : 130 d'après Bulletin du GODF 1876 : 400-401.

[9] Grégoire Wybouroff (1843-1913), biologiste et philosophe positiviste. Membre de la Clémente Amitié.

[10] Combes 1999 : 139.

[11] D'après Combes 1999 : 141, ces informations étaient fausses. Seul le Grand Orient de Belgique, que Desmons ne cite pas, avait, en mars 1872, supprimé de ses statuts l'article 12 qui stipulait que les actes de l'obédience seraient intitulés "A la gloire du Grand Architecte de l'Univers et sous la protection de S.M. Léopold 1er Roi des Belges", révision qui parut logique à l'époque puisque le roi était mort depuis 7 ans déjà (10 décembre 1865) mais dont on profita pour éliminer subrepticement le Grand Architecte (les statuts ne parlaient pas de l'existence de Dieu).

[12] N'ergotons pas. Certes, Dieu est présent dès les Constitutions d'Anderson et leurs traductions françaises du XVIII° siècle, mais Desmons ne parle que des Constitutions du Grand Orient. Avant 1849, le Grand Orient n’avait jamais eu de Constitution mais, depuis 1773, seulement des Règlements Généraux qui ne parlaient pas de Dieu (celui-ci était pourtant bel et bien présent dans les rituels).

[13] « Elle a pour principes l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme et la solidarité humaine. »

[14]     Comment comprendre autrement les mots soulignés par Pierre Noel ?

[15]     L'intervention de De Saint-Jean visait, sans doute, à ce qu'on ne puisse, à l'avenir exclure des croyants. En pratique, elle permit l'admission des athées !

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Le Tablier et son Symbolisme

21 Février 2015, 10:00am

Publié par pmbordeaux

Je me suis appuyé, pour ce faire, sur une étude très approfondie de W.H. Rylands[1] sur Le Tablier maçonnique, illustrée de 83 planches et dessins auxquels je ferai référence durant ma présentation.

HISTOIRE DU TABLIER

L'origine du Tablier maçonnique remonte à celui porté par les maçons opératifs du Moyen Age. Les quelques exemplaires qui nous sont parvenus montrent que ce tablier était, très probablement, en peau de mouton, assez grand pour couvrir de la poitrine aux chevilles soutenu par un tour de cou et attaché autour de la taille par de grandes lanières. Ce tablier rustique fut utilisé durant des siècles et ce n'est qu'au XVIIIe siècle qu'ait apparu le tablier brodé employé par les maçons modernes.

Nous trouvons les premières représentations de tabliers maçonniques sur le portrait d'Anthony Sayer, premier G.M. de la Maçonnerie moderne et sur l'illustration du frontispice du Livre des Constitutions d'Anderson de 1723. Sur la première on distingue clairement la bavette relevée, quant à la seconde, on y voit le Tuileur porter de grands tabliers semblables à ceux des opératifs que nous venons de décrire.

Nous ne savons pas quand ces longs tabliers disparurent. Ils ne sont représentés que sur 4 des 83 illustrations de Rylands. La plus intéressante, datée de 1754, montre un groupe de six maçons qui en sont vêtus. Seuls le 1er Surveillant et, semble-t'il, le V:.M:., portent la bavette baissée.

A la vue des tabliers et des illustrations de l'époque, les Tabliers avaient été initialement conçus pour être portés bavette relevée boutonnée au manteau ou au gilet. Plusieurs de ces vieux tabliers ont une boutonnière dans la bavette mais la tendance, parmi les Maîtres Maçons, était de porter la bavette baissée voire de s'en passer. En France, le compagnon portait la bavette relevée et boutonnée au manteau comme on peut le lire dans de nombreuses divulgations (Catéchisme des Francs-Maçons en 1744, L'ordre des Francs-Maçons Trahi en 1745). Par exemple, dans Le Maçon Démasqué, en 1751, la description de la cérémonie de MM:. contient ce qui suit : "… le Vénérable détacha l'oreille de mon tablier qui tenait à un bouton de la veste, & me dit qu'en qualité de Maître j'avais acquis le droit de la baisser" que l'on retrouve quasiment à l'identique dans le "Rit Français" de 1785.

Les illustrations de Rylands offrent seulement trois exemples de bavette relevée : celle, déjà mentionnée, d'Anthony Sayer datant de 1717 ; celle dont nous avons parlé, datant de 1754 ; et la dernière, datant de 1784. Sur une douzaine d'illustrations les tabliers n'ont plus de bavette, sur les autres elle est baissée.

Le cuir épais fut rapidement remplacé par des cuirs plus souples. Il a continué à être utilisé au moins jusqu'en 1811. Ceci est mis en avant dans la première référence officielle au tablier trouvée dans les minutes du 17 mars 1731 de la G.L. de Londres [2], je cite :

"Les Maîtres et Surveillants de Loges peuvent revêtir leurs Tabliers de cuir blancs avec de la soie blanche, et peuvent accrocher leurs Bijoux aux Rubans blancs mis autour du cou". (A.Q.C., X, p. 146.) Ce règlement sera repris en 1738 et dans les éditions suivantes des Constitutions.

Dans ces minutes il est également précisé que "seuls le Grand Maître, le Député et les Surveillants porteront [...] un tablier de cuir blanc à ruban bleu". Le 24 juin 1735, il est accordé aux Grands Stewards[3] le privilège d'arborer un tablier rouge.

À partir de 1731, le tablier eut une forme plus pratique. Le cuir est remplacé par des tissus plus légers, soie, satin, velours, toile et peau de chamois. La bavette, lorsqu'elle était présente, était triangulaire ou arrondie, forme de plus en plus prisée par les MM:., vraisemblablement pour marquer leur rang distinctif. La partie inférieure du tablier était parfois carrée, mais, plus généralement, les coins étaient arrondis et les lanières en cuir remplacées par des rubans ou des cordons.

La tendance à décorer les tabliers avec des symboles a commencé dans les années 1730. Les tabliers étaient artistement peints ou brodés avec raffinement, souvent faits maison, et devinrent à la mode jusqu'à l'Union en 1813. A partir de 1760 les tabliers imprimés sont apparus.

Rylands résume ainsi : "… aux environs de 1784 la taille du tablier a été considérablement réduite… il y eut longtemps un grand laxisme… aucune définition quant à l'uniformité. Tant que le support était blanc, il pouvait être décoré de symboles maçonniques ou autres sans enfreindre les règles du moment que cela n'interférait avec les privilèges des Grands Officiers dont la bordure des tabliers était brodée de pourpre. La taille s'est réduite au fur et à mesure "

Chez les Antients il devint habituel de dessiner ou peindre le blason de leur propre Grande Loge. Ils donnaient libre court à leur fantaisie dans le choix et l'utilisation des embellissements.

Le 2 septembre 1772, la G.L. Atholl adopta la résolution suivante :

"Il a été indiqué à la G.L. que plusieurs Frères étaient apparus publiquement avec lacet et frange dorés, ainsi qu'avec beaucoup de décors sur leur tablier, ce qui est contraire à la notion même de dignité et aux us et coutumes antiques du Métier, il fut décidé et ordonné qu'à l'avenir, aucun Frère, exceptés les Grands Officiers, n’apparaîtra avec lacet doré, frange dorée, broderie d’or ou quelqu'autre chose dorée sur leur habillement maçonnique ou ornements." [4]

C'était une interdiction pure et simple de toute décoration dorée mais il n'y avait toujours aucune tentative d'uniformisation.

Il faut attendre l'Union de 1813 pour réaliser une uniformisation des décors. Une Commission de Travail, établie en décembre 1813, définit la taille, la coupe et la couleur des tabliers, je cite :

Apprenti Entré,- Un rectangle de peau d’agneau blanche de 14 à 16 pouces de large, 12 à 14 pouces de longueur, sans ornement ; cordes blanches.

Compagnon,- identique à celui d’apprenti entré, avec seulement deux rosettes bleu ciel en bas.

Maître Maçon,- le même, avec la doublure et la bordure bleu ciel d'1 ½ pouce de large et une rosette complémentaire sur la face ou la bavette. Aucune autre couleur ou décoration ne sera autorisée sauf pour les officiers et les anciens officiers des loges qui peuvent avoir les emblèmes de leurs offices en argent ou en blanc au centre du tablier.

Ces modifications, entérinées par la Grande Loge Unie d'Angleterre au début de 1814, entrèrent en vigueur dès la publication des nouvelles Constitutions en 1815.

En France, en 1778, le Code Maçonnique des Loges Réunies et Rectifiées de France, faisant suite au Convent National de Lyon, définit les Tabliers comme suit :

Les Apprentis ont le tablier de peau blanche, sans doublure ni bordure, la bavette haute; les Compagnons ont le même tablier, avec des rubans bleus; les Maîtres ont le tablier doublé et bordé de bleu, la bavette abattue.

La codification du Rit Français en 1785, reste assez vague si ce n'est une précision au 3ème grade, savoir que le tablier des MM\ doit être blanc bordés de bleu et, comme nous l'avons vu supra, que la bavette sera "désormais" rabaissée, sous entendant qu'elle est relevée aux 2 premiers grades.

Quelques années plus tard, un Décret, en date du 15 décembre 1808, donne une description des Cordons et Bijoux des 33 grades du REAA. Ainsi le Tablier des 3 premiers degrés doit être de peau blanche, bordé en soie couleur de feu et attaché avec des cordons de la même couleur. Un Triple Triangle Couronné est peint ou brodé au centre.

RUBANS BLEUS ET SOIE BLEUE

La résolution de la Grande Loge le 17 mars 1731, ordonnait ce qui suit :

" Personne, à part le Grand Maître, son Adjoint et les Surveillants, ne peut porter de bijou en or ou doré pendu à un ruban bleu autour du cou, ni de Tablier en cuir blanc avec de la soie bleue ; ces derniers pouvant cependant être portés par les anciens Grands Officiers."

C'est la première référence à la soie bleue sur les tabliers et il est clair que le bleu était à l'origine réservé pour les Grands Officiers. Le MS Rawlinson, c. 1740, précise :

"Deux tabliers de Grands Maîtres sont garnis de soie bleu Jarretière et retournés sur deux pouces avec des cordes de soie blanche." [5]

En 1745-50 les Grands Officiers commencèrent à border leurs tabliers de ruban pourpre. Le bleu clair fut graduellement abandonné par les Grands Officiers et adopté par les Maîtres Maçons et, puisqu'il n'y avait aucune règle sur le sujet, les tabliers bordés de bleu devinrent de plus en plus courants.

Comme nous l'avons vu il fallut attendre 1815 pour arriver à une uniformité et une régularité dans la matière, la conception, la forme et les décorations du tablier. Ce texte perdura avec très peu de modifications. La principale concerne "les glands argentés" qui doivent pendre sur la face, dépassant de sous la bavette.

LES GLANDS

Les glands, dans leur forme rudimentaire, ont dû apparaître très tôt comme le prolongement naturel des cordes attachées à l'avant du tablier. Plusieurs exemples de tabliers, bien conservés, datant du XVIIIe siècle, ont de larges rubans dont les extrémités se terminent avec des franges dorées, de sorte, qu'une fois noués à l'avant, ces extrémités frangées ont l'aspect d'une paire de glands.

Il est impossible à dire quand les glands argentés ont fait leur apparition en tant que décor "standard" sur les Tablier de Maîtres Maçons. Ils ont été officiellement prescrits pour la première fois dans le Livre des Constitutions de 1841 mais ont probablement été utilisés avant.

LES ROSETTES

L'origine des rosettes des Compagnons et des M\M\ sur les tabliers est également inconnue. En Angleterre leur introduction fut tardive et ne furent officiellement prescrites qu'en 1815 pour différencier les trois grades. Il est cependant probable que leur but original fut purement ornemental. La première représentation d'une rosette sur un tablier date de 1736 sur le portrait de Lord William Saint Clair, premier Grand Maître de la Grande Loge d'Ecosse.

Malheureusement, il n'y a aucune trace d'une Grande Loge Anglaise ou Européenne, à cette époque, ayant prescrit l'utilisation de telles rosettes et, de ce fait, nous sommes contraints de supposer qu'elles étaient purement décoratives. Ceci n'exclut pas la possibilité, cependant, qu’elles aient pu avoir une signification plus pratique dans les Loges dans lesquelles elles étaient portées.

EQUERRES OU NIVEAUX - les "Tau" renversés

Il semble qu'il n’y ait eu aucun nom officiel pour les "Tau" renversés qui décoraient le tablier d'un Maître ou d'un Passé Maître. Les Constitutions de 1815 les décrivent comme "lignes perpendiculaires sur traits horizontaux, formant de ce fait 3 séries de deux angles droits " ; à l'origine ils étaient de ruban d’un pouce de large. La même définition apparaît dans les présentes Constitutions, bien que de nos jours ces emblèmes soient habituellement argentés ou blancs. Ils étaient seulement destinés à marquer une distinction.

CONCEPTIONS SPECULATIVES DU TABLIER

Si le "Métier" est aujourd'hui spéculatif, si chaque maçon doit être, dans une certaine mesure, spéculatif dans son attitude et conformément à ses principes, il ne faut cependant pas tomber dans l'excès et repousser les limites de la recherche en amplifiant les valeurs des symboles.

Vous en conviendrez, si on ne peut être maçon sans être initié - puisque cette cérémonie nous "fait maçon" -, de même, la Franc-Maçonnerie ne peut être sans le symbolisme qui est un moyen d'accès à la connaissance.

L'enseignement par le symbolisme est une pratique séculaire et la Franc-Maçonnerie, à l'instar de toutes les grandes organisations civilisées telles l'Etat, les Eglises, les Armées, etc, s'approprie des symboles qui ont tous une interprétation acceptable. Acceptable dans la limite de la pensée spéculative, savoir d'une réflexion abstraite et théorique qui considère les tenants et aboutissants d'une chose comme si elle était vraie, sans pour autant la considérer comme vraie.

La définition la plus connue et le plus largement acceptée de la Maçonnerie, est qu'elle représente "Un système particulier de moralité... illustré par des symboles" que le Métier interprète à sa manière d'une façon claire et simple, avec les symboles des Outils et du Tableau de Loge.

Avant d'aller plus avant, il serait opportun de faire une différentiation claire entre les termes Symbole, Emblème et Insigne.

Le Symbole est une idée, un signe ou un objet qui a en soi une signification qui peut être trouvée s'il est étudié. Certains symboles sont simples, d'autres plus complexes et permettent une interprétation étendue.

L'Emblème est également un dispositif symbolique dont la signification est évidente, connue et acceptée par tous : par exemple, une couronne représente la royauté, le blanc signifie la pureté.

Le Signe est une marque ou une indication par laquelle une personne ou un objet se distingue ; c'est un moyen permettant de reconnaître l'appartenance à un groupe ; il sert réellement à établir l'identité de son propriétaire au même titre que son propre nom.

Les trois sont utilisés en maçonnerie.

Le tablier comporte des symboles ou des emblèmes comme éléments décoratifs ; par exemple, le liseré bleu, les rosettes et les glands. Sont-ce des symboles ou des emblèmes ? Ont-ils une valeur en dehors de toute forme artistique ou de décorations ?

Certains enseignent que ce sont des symboles et vont même beaucoup plus loin en déclarant que la forme actuelle du tablier et de la bavette ainsi que la position de cette dernière sont importantes de par leur contenu symbolique. Attention à de telles affirmations. Au mieux les décorations sur le tablier sont probablement emblématiques, mais ce que ces emblèmes signifient est impossible à énoncer exactement ; par exemple, il est dit que le liseré bleu symbolise la charité. Cela se peut, mais la charité est une vertu commune du Métier or beaucoup de tabliers ont une bordure de couleur différente !!! Couleur qui a changé et évolué avec le temps et au fur et à mesure de la création des rites maçonniques. Il n'y a, au final, que peu d'indications dans les rituels ou les documents officiels sur les couleurs précises à utiliser si ce n'est :

  • la référence à l'Ordre du Saint Esprit pour le Rite Français (bleu clair) - L'ordre des francs maçons trahi (1745) et encore aujourd'hui explicitement en Belgique -,
  • l'ordre de la Jarretière pour les Grands Officiers (bleu foncé) - le MS Rawlinson (c. 1740) -
  • le rouge "couleur de feu" pour le REAA - décret du 15 décembre 1808 –
  • et le bleu ciel dans les Constitutions de 1815.

Le fait de vouloir rapprocher les couleurs des Tabliers à celles des ordres nationaux ou monarchiques serait une idée de Frédéric Tristan, alors Grand Orateur de la GLNF dans les années 1980's. Nous le voyons, peu de symbolisme ésotérique dans ces choix…

Quant aux trois rosettes dites représenter les Trois Degrés, aucun érudit n'en connaît leur origine. De même, l'origine symbolique des glands et de leurs sept chaînes est entourée de mystère. Il vaut bien mieux accepter le fait très probable que les fabricants, à compter de 1830, ont conçu une représentation symétrique pour le tablier en plaçant les glands avec leurs chaînes décoratives de chaque côté du tablier. Enfin, les jusqu'au-boutistes iront jusqu'à voir dans le "crochet" et le "fermoir" des symboles fantastiques et mystiques ; une telle affirmation sur d'humbles dispositifs d'attache, si couramment utilisés, est complètement injustifiée.

Rappelons-nous que lors de sa réception le candidat est informé :

Que le tablier est le signe marquant son appartenance à la Fraternité et qu'il doit toujours le porter en Loge. Il est le symbole du travail et de la vie active et laborieuse que le Maçon doit mener.

Rappel utile puisque, lors du Convent de 1948 de la GLDF, au sortir de la guerre, la Commission des Rituels faisait l'amer constat de "l'abandon progressif du tablier de Maître et son remplacement par le cordon".

Le tablier est donc, dans sa finalité, non seulement le signe officiel de notre appartenance à l'"ancienne et honorable Société" mais, également, une mise en garde qu'un frère doit toujours comprendre et se conformer à l'éthique de l'Art, de sorte qu'en loge, au moins, règne une paix juste, agréable et fructueuse, appelée par certains "égrégore"…

Les explications symboliques qui sont pratiquement normalisées dans les rituels modernes sont claires, simples et tout à fait satisfaisantes. C'est le droit incontesté pour chaque Maçon de chercher plus loin une interprétation qui viendra répondre à ses besoins spirituels. Mais il devra se rappeler la phrase de Tennyson sur "la fausseté des extrêmes" et n'accepter progressivement "des explications plus profondes" que lorsqu'il pourra le faire "en son âme et conscience".

Ainsi vu, le symbolisme qui montre sans chercher à démontrer, qui pousse chacun à aller plus loin dans son questionnement personnel sans jamais apporter de réponse définitive, permet à la Franc-Maçonnerie spéculative d'être le trait d'union entre tradition initiatique ancestrale et humanisme moderne.

 

[1] W. H. Rylands - A.Q.C., vol. V - 1892.

[2] La première référence officielle à l'habillement maçonnique est dans l'art. 7 des General Regulations (1721-1723) de George Payne - bien que les tabliers ne soient pas mentionnés spécifiquement - : "chaque nouveau frère, lors de son initiation, doit décemment décorer la loge" (en offrant des tabliers et des gants à tous les Frères présents)

[3] Ils apparaissent en 1721. Assistants des Gds Surveillants, ils sont chargés de l'organisation des réunions trimestrielles (sur leurs deniers). En 1735, il leur est accordé le droit de se constituer en Loge. En 1792, leur Loge fut placée, sans numéro, en tête du tableau de toutes les Loges. Elle prit le titre de Loge des Grands Stewards.

[4] Ahiman Rezon, 1807, pp. 90-91

[5] A l'origine le Bleu Jarretière d'un bleu très pale, proche de la couleur de l'eau, changea d'abord sous Edouard VI en se fonçant pour tendre vers le bleu du ciel puis encore durant la période des Hanovre (c. 1745) pour être d'un bleu foncé.

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Point sur la datation des obédiences

4 Février 2015, 13:59pm

Publié par pmbordeaux

Allez !!! Je me lance avec ce 1er article suite à la dernière publication de Gérard Contremoulin sur son blog La Voûte Etoilée. Gérard nous dit que "Le GODF n'est pas une ... Grande Loge !
[...] il est utile de rappeler au moins dire qu'un "Grand Orient" et une "Grande Loge" ce n'est pas la même chose ! Il semble bien que cette spécificité soit parfois oubliée. Elle existe pourtant depuis 1773"

Bien dit !!! et preuve s'il en était besoin que le GODF n'existe QUE depuis 1773... CQFD...

J'ai fait une petite recherche documentaire et voici ce qu'il en ressort :
Dans un document de 1776, le GODF fait l'état des "Loges constituées ou reconstituées". S'il y avait eu continuité, les anciennes loges n'auraient pas eu à être "reconstituées" mais auraient poursuivi leur chemin dans un "cadre administratif" différent. Il n'en fut rien et toutes sont passées par le processus de "constitution accordée par le GODF".

Nous y trouvons l'ensemble des Loges avec leur date de constitution, la date d'affiliation à la Grande Loge de France et celle au GODF. Par exemple, comme nous pouvons le lire sur la page ci-dessous, pour la Loge Les Cœur Zélés à l'Or:. d'Alençon il est indiqué : "Constitutions primitives du 10 Mai 1763, renouvelées par la G.L. de France en 1772 & par le G. O. le 7 Mai 1774"... re-CQFD !!!

 

Il n'est donc pas né en 1728 comme on peut le lire sur le site même de l'obédience (1) mais est issu de la Première Grande Loge de France née en 1728 (ou 38 selon les auteurs) comme la plupart des autres obédiences d'ailleurs.
Ceci étant, le GODF, né en 1773, est la plus ancienne obédience française - ce qui est déjà pas mal - mais pas la plus ancienne obédience d'Europe Continentale.


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Autre point sur les dates. Il est dit partout que le DH est né en 1893. Ce n'est pas tout à fait exact. En effet, il semblerait que la création du DH (l'obédience) date de 1901.

1893 est en fait la date à laquelle la Loge nommée « Grande Loge symbolique écossaise de France Le Droit humain » fut créée...
Or, une Loge, même appelée "Grande Loge" n'a jamais constituée une Obédience...

Voilà ce que l'on trouve sur le site du DH (2) :

"Dès le 1er juin 1892 Maria Deraismes réunit chez elle un certain nombre de femmes. Le 4 mars 1893 elles prennent la décision de créer une loge mixte. Cela se fera en quatre étapes :

  • le 14 mars 1893 on procède à l’initiation d’un certain nombre d’entre elles,
  • les 24 mars et 1er avril elles sont élevées aux deuxième et troisième degrés,
  • le 4 avril la loge mixte est créée. Elle prend le titre distinctif de Grande Loge Symbolique Ecossaise de France le Droit Humain ; ses statuts sont déposés en mai à la préfecture de la Seine. Maria Deraismes en est vénérable, Clémence Royer, vénérable d’honneur et Georges Martin, orateur. Le Rite Ecossais Ancien et Accepté est choisi."

Suite à la création de divers ateliers (Blois, Lyon, Rouen, Paris, Zürich), les statuts sont modifés le 16 mai 1896. L’obédience devient la GLSE Mixte. En 1899 un S.C. est constitué et en 1901 la GLSE Mixte fait place à l’Ordre Maçonnique Mixte et International le Droit Humain administré par le Suprême Conseil...

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(1) "Né en 1728 comme Première Grande Loge de France" http://www.godf.org/index.php/pages/details/slug/le-grand-orient-de-france
(2) http://www.droithumain-france.org/IMG/pdf/Creation_et_histoire._web.pdf

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