Documents et Histoire maçonniques

GODF : le Convent de 1877

27 Septembre 2015, 13:25pm

Publié par pmbordeaux

Ce nouvel article fait suite à la publication de Miscellanea Macionica n°84 dont la question est "Comment le Grand Orient de France a-t-il congédié le Grand Architecte de l’Univers ?"

Tel que présenté c'est la référence au GADLU qui aurait été supprimée or le Pasteur Frédéric Desmons demande simplement (et obtient) "la suppression du second paragraphe de l'article premier de notre Constitution parce qu'il nous paraît contradictoire avec le paragraphe suivant du même article." Ainsi c'est le paragraphe visant à la croyance obligatoire en Dieu et en une âme immortelle qui est supprimé, répondant ainsi à une demande minoritaire mais de plus en plus pressante des LL:. depuis le Convent de 1865.

A la séance du Conseil du 28 octobre 1877, Caubet expliquera d'ailleurs que la décision du Convent n'implique pas l'interdiction aux loges de faire usage de l'ancienne formule ni d'œuvrer "à la gloire du Grand Architecte de l'Univers". La formule est simplement devenue facultative et laissée à la libre appréciation de chaque loge. Elle demeurera sur les pièces officielles de l'obédience jusqu'en 1882.

Trop de FF:. du GO affirment que le GADLU a été supprimé (et interdit) au Convent de 1877.
Il n'en est rien !!!

 

Revenons un peu en arrière (sur la base de l'article écrit en 2000 par Pierre Noel)...

Depuis le 10 août 1849, l'art. 1er de la (première) Constitution du Grand Orient était ainsi rédigé :

La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive a pour base l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme ; elle a pour objet l'exercice de la bienfaisance, l'étude de la morale universelle, des sciences et des arts, et la pratique de toutes les vertus. Sa devise a été de tous temps : Liberté, Égalité, Fraternité.

Cet article devint le 28 octobre 1854 :

L'Ordre des Francs-Maçons a pour objet la bienfaisance, l'étude de la morale universelle et la pratique de toutes les vertus.
Il a pour base : l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et l'amour de l'humanité.
Il est composé d'hommes libres qui, soumis aux lois, se réunissent en Société régie par des Statuts gén
:. et part:..

Le convent de 1865 avait été déclaré constituant par le convent précédent. Les loges consultées sur l'article 1er avaient émis leurs vœux : 49 désiraient le maintien de la formulation en vigueur, 52 désiraient le modifier en conservant l'idée de l'immortalité de l'âme, 32 voulaient sa suppression, 3 étaient indécises.[1]

Plusieurs propositions furent faites mais finalement l'article suivant fut adopté :

La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l'étude de la morale universelle, des sciences et des arts et l'exercice de la bienfaisance.
Elle a pour principes l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et la solidarité humaine.
Elle regarde la liberté de conscience comme un droit propre à chaque homme et n'exclut personne pour ses croyances.
Elle a pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité.

Dès 1866, plusieurs loges supprimèrent de leur seule autorité la mention A la Gloire du Grand Architecte de l'Univers de leurs documents officiels [2]. Le 13 juin 1867, le convent rappela l'obligation de la formule par 180 voix contre 67 et une abstention.

Les vœux déposés lors du convent de 1868 n'étaient guère équivoques :

  • Liberté d'omettre la formule du Grand Architecte de l'Univers.
  • Supprimer les décorations des décors maçonniques réduits à leur plus simple expression.
  • Réformer le rituel pour débarrasser la Maçonnerie du formalisme qui couvrait de ridicule l'institution et empêchait beaucoup d'hommes "sérieux" de grossir le nombre de ses adhérents.
  • Supprimer les hauts grades et la Grande Maîtrise.
  • « Saint Jean, saint André, la Pentecôte et autres applications de l'Église semblent nous rattacher à l'obscurantisme. Nous demandons qu'ils soient remplacés par des termes rationnels »[3]

Aucun ne fut retenu.

Lors du Convent de 1875 la loge La Fraternité Progressive de Villefranche-sur-Saône déposa [4] le vœu que soient "(supprimés), à l'article 1er de la Constitution, les deux premiers termes du 2e paragraphe".[5]

Le 29 juillet 1876, le Conseil de l'Ordre écouta le rapport de Charles Du Hamel sur le sujet. Très justement, celui-ci fit remarquer

que ce vœu, en supprimant la formule traditionnelle qui se trouve dans tout l'univers maçonnique, supprime l'article 1er de notre Constitution ; modifie complètement les principes qui régissent notre Institution et qui, aux termes mêmes de ces principes, en sont la base. Si une semblable modification devait être faite à notre Constitution, nul ne peut nier, qu'outre les attaques du monde profane dont je ne m'occupe pas, car la suppression de cette formule n'entraîne pas pour cela la négation de Dieu, nous serions régis par la théorie de la morale indépendante. Ce sera donc à nous de voir, si la question se présente devant l'Assemblée, si nous voulons changer la base de notre Institution.[6]

Le Conseil passa à l'ordre du jour et renvoya la question au convent.

Il s'ouvrit, le 11 septembre 1876, sous la présidence de De Saint-Jean. Le rapporteur de la commission chargée du sujet reconnut que

la mauvaise foi pourrait seule assimiler à une négation de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme la suppression demandée ; car la solidarité humaine et la liberté de conscience qui seraient alors les bases exclusives de la Franc-maçonnerie, comportent certainement la croyance en Dieu et en une âme immortelle, autant qu'elles autorisent le matérialisme, le positivisme ou toute autre doctrine philosophique.[7]

La commission proposait néanmoins, par 5 voix contre 4, de passer à l'ordre du jour, car cette suppression serait inopportune, provoquerait une agitation violente dans les loges, blesserait les consciences de milliers de Francs-maçons et compromettrait les relations de l'obédience avec les puissances étrangères. Suivirent plusieurs interventions de niveau inégal, les unes qualifiant d'opportunistes les conclusions de la commission, les autres rappelant que l'idée de Dieu est au sommet de toutes les religions et de presque toutes les philosophies. Un intervenant rapporta que, dans sa loge, un candidat fut refusé parce qu'il avait parfois "adressé des prières à l'Être Suprême". Le vénérable de la loge de Saint Jean de Jérusalem à Nancy souligna le risque d'une rupture avec les Grands Loges étrangères, puis éleva le débat :

Ne croyez pas que le paragraphe discuté et cette formule ne soient que de vains mots : ce sont des idées éternelles qui ont traversé les siècles et sur lesquelles se sont élevées des civilisations sans nombre ;  [...] c'est sur elles que reposent (nos rituels) dont elles sont la clé de voûte, on prétend l'arracher, si on le faisait, il y aurait instantanément écroulement du Temple, on se trouverait au milieu des ruines, c'en serait fait de la Maçonnerie. On pourrait faire autre chose, quelque chose de nouveau, j'en conviens, mais ce ne serait plus de la Maçonnerie. Et alors, comme c'est à elle que nous appartenons, nous n'aurions plus qu'à sortir du Grand Orient de France, et à la pratiquer ailleurs.[8]

Bien que l'Orateur du Convent, le F. Wybouroff [9], ait conclu à l'ordre du jour, il fut rejeté par 110 voix contre 105 : conformément à la Constitution, la question était donc renvoyée aux loges. Lors du banquet de clôture, le même Wybouroff, dans une curieuse volte-face, incita les loges à adopter le vœu de La Fraternité Progressive car, dit-il, « supprimer une affirmation n'est pas produire l'affirmation contraire »[10].

 

Le convent de 1877

Il s'ouvrit le 10 septembre, sous la présidence de De Saint-Jean. L'examen du vœu n° IX, celui de la Fraternité Progressive, fit l'essentiel des travaux. Une commission de neuf membres, élue par l'assemblée, choisit pour rapporteur Frédéric Desmons qui lut son rapport le 13 septembre. Ce rapport, souvent évoqué, est mal connu, chacun l'utilisant au profit de ses engagements. Outre le Bulletin du Grand Orient de France, il se trouve dans La Chaîne d’Union (octobre 1877), dans le Bulletin du Centre de Documentation du Grand Orient de France 1958, n° 11-12, dans Frédéric Desmons et la Franc-Maçonnerie sous la 3e République de Daniel Ligou (1966), enfin en annexe à Les Francs-Maçons en France de Pierre Mariel (1969).

D'emblée, le rapporteur rappela les objections à la réforme qui évoquaient l'isolement possible du Grand Orient au sein de la maçonnerie universelle, le risque d'un schisme au sein de l'obédience et la menace que le Grand Orient soit dénoncé comme athée, arguments qu'il réfuta en citant les exemples brésilien, hongrois et italien [11] :

Soyez donc rassurés, mes Frères, ne redoutez point pour notre Ordre son isolement au sein du monde maçonnique. Il y a dans cette voie des pionniers intrépides qui nous ont déjà devancés. Soyez assurés que nous aurons bientôt de nombreux imitateurs.

D'ailleurs, ajoute-t-il, le paragraphe qu'il s'agit de supprimer ne fut introduit dans la Constitution qu'en 1849. Vous le voyez, mes Frères, ce que nous demandons n'est point une innovation dangereuse, mais bien purement et simplement un retour à une situation antérieure.[12]

Cette modification risque-t-elle de jeter le trouble et la division au sein de nos loges ? Non, réplique le rapporteur, puisque la question est à l'ordre du jour depuis une dizaine d'années. Sur les 210 ateliers qui ont transmis leur avis sur la question, "plus des deux tiers ont été favorables à l'adoption du vœu".

Ce qui pouvait faire naître le trouble et l'agitation au sein de nos ateliers, c'était la crainte non pas tant de voir supprimer cette formule que de la voir remplacer par une formule matérialiste ou athée. Or, qui ne sait, à cette heure, que nul parmi nous, en proposant cette formule, n'entend faire profession d'athéisme ou de matérialisme ? A cet égard, tout malentendu n'est-il pas dissipé dans nos esprits ? Et si, au sein de quelques loges, il pouvait rester encore quelque doute à ce sujet, qu'elles sachent que votre commission déclare hautement qu'en adhérant au vœu n° IX elle ne se propose d'autre but que de proclamer la liberté absolue de conscience.

Certes le cléricalisme va lancer contre le Grand Orient des calomnies supplémentaires. Qu'importe ?

Nos adversaires sont implacables et le nouveau délai que nous nous mettrions à résoudre la question qui nous est soumise n'aurait, soyez-en convaincus, d'autres résultats que de nous faire accuser de joindre la peur et l'hypocrisie à l'impiété.

Desmons en vient alors au cœur du problème, la formulation contradictoire de l'article 1er :[13]

Nous demandons la suppression du second paragraphe de l'article premier de notre Constitution parce qu'il nous paraît contradictoire avec le paragraphe suivant du même article.

Nous demandons cette suppression parce que cette formule nous paraît devoir créer bien souvent des embarras à bien des vénérables et à bien des Loges, qui, dans certaines circonstances, sont contraints ou bien d'éluder la loi ou bien de la violer. Or la Maçonnerie ne doit-elle pas donner toujours l'exemple de l'observation et du respect de la loi ?

Nous demandons la suppression de cette formule parce que, embarrassante pour les vénérables et pour les Loges, elle ne l'est pas moins pour bien des profanes qui, animés du sincère désir de faire partie de notre grande et belle Institution qu'on leur a dépeinte, à bon droit, comme une Institution large et progressive, se voient tout à coup arrêtés par cette barrière dogmatique que leur conscience ne leur permet pas de franchir.

Nous demandons la suppression de cette formule parce qu'elle nous paraît tout à fait inutile et étrangère au but de la Maçonnerie.

Et Desmons de poursuivre par une envolée anticléricale où se reconnaît aisément son appartenance à l'Église Réformée [14] :

Laissons aux théologiens le soin de discuter les dogmes. Laissons aux Églises autoritaires le soin de former leur Syllabus. Mais que la maçonnerie reste ce qu'elle doit être, c'est à dire une institution ouverte à tous les progrès, à toutes les idées morales et élevées, à toutes les aspirations larges et libérales. Qu'elle ne descende jamais dans l'arène brûlante des discussions théologiques qui n'ont jamais amené - croyez-en celui qui vous parle - que des troubles et des persécutions. Qu'elle se garde de vouloir être une Église, un Concile, un Synode car toutes les Églises, tous les Conciles, tous les Synodes ont été violents et persécuteurs, et cela pour avoir toujours pris pour base le dogme qui, de sa nature, est essentiellement inquisiteur et intolérant.

Enfin le rapporteur propose la résolution finale, adoptée à l'unanimité de la Commission :

1° L'Assemblée, considérant que la franc-maçonnerie n'est pas une religion ; qu'elle n'a point par conséquent à affirmer dans sa Constitution des doctrines ou des dogmes.

Adopte le vœu n° IX.

2° L'Assemblée décide que le second paragraphe de l'article 1er de la Constitution aura la teneur suivante : « La franc-maçonnerie a pour principes la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. »

3° L'Assemblée supprime, comme faisant double emploi avec le second paragraphe modifié, le paragraphe trois, ainsi conçu : « La franc-maçonnerie regarde la liberté de conscience comme un droit propre à chaque homme et n'exclut personne pour ses croyances. »

4° L'Assemblée décide enfin que l'article 1er de la Constitution aura désormais la teneur suivante : « La franc-maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l’étude de la morale universelle, des sciences et des arts, et la bienfaisance. Elle a pour principes la liberté absolue de conscience et la liberté humaine. Elle a pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité ».

Le vœu fut adopté sans que les voix aient été décomptées. On peut l'estimer aux deux tiers si l'on suit les avis préalables des loges. De Saint-Jean qui y était opposé obtint que soit modifié le point 3 et maintenu "Elle n'exclut personne pour ses croyances" entre "Elle a pour principes la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine" et "Elle a pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité".[15]

Ainsi, contrairement à une idée reçue, le convent de 1877 ne supprima point l'invocation au Grand Architecte de l'Univers. Le discours de Desmons n'y fait pas allusion, pas plus d'ailleurs qu'il ne contient le mot Dieu.

 


[1]     Bulletin du GODF 1865 : 24, cité in Baylot 1968 : 318.

[2]     Chevallier 1974, II : 446-447.

[3]     Baylot 1968 : 302-303.

[4]     Au même convent, la loge L'Avenir demanda que la formule A la Gloire du Grand Architecte de l'Univers soit supprimée au nom de la liberté de conscience (Combes 1999 : 136). Un autre vœu demanda le remplacement de l'acclamation vivat ! vivat ! vivat ! par Liberté, Egalité, Fraternité.

[5]     Bernheim 1989 : 126.

[6]     Bernheim 1989 : 126.

[7]     Bulletin du GODF, 1876 : 373, cité in Bernheim 1989 : 127.

[8]     Allocution du Dr Marchal citée in Bernheim 1989 : 130 d'après Bulletin du GODF 1876 : 400-401.

[9] Grégoire Wybouroff (1843-1913), biologiste et philosophe positiviste. Membre de la Clémente Amitié.

[10] Combes 1999 : 139.

[11] D'après Combes 1999 : 141, ces informations étaient fausses. Seul le Grand Orient de Belgique, que Desmons ne cite pas, avait, en mars 1872, supprimé de ses statuts l'article 12 qui stipulait que les actes de l'obédience seraient intitulés "A la gloire du Grand Architecte de l'Univers et sous la protection de S.M. Léopold 1er Roi des Belges", révision qui parut logique à l'époque puisque le roi était mort depuis 7 ans déjà (10 décembre 1865) mais dont on profita pour éliminer subrepticement le Grand Architecte (les statuts ne parlaient pas de l'existence de Dieu).

[12] N'ergotons pas. Certes, Dieu est présent dès les Constitutions d'Anderson et leurs traductions françaises du XVIII° siècle, mais Desmons ne parle que des Constitutions du Grand Orient. Avant 1849, le Grand Orient n’avait jamais eu de Constitution mais, depuis 1773, seulement des Règlements Généraux qui ne parlaient pas de Dieu (celui-ci était pourtant bel et bien présent dans les rituels).

[13] « Elle a pour principes l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme et la solidarité humaine. »

[14]     Comment comprendre autrement les mots soulignés par Pierre Noel ?

[15]     L'intervention de De Saint-Jean visait, sans doute, à ce qu'on ne puisse, à l'avenir exclure des croyants. En pratique, elle permit l'admission des athées !

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